samedi 24 décembre 2011

article 9 / Peuple : la ruse du "people", par Olivier Pascault

Peuple : la ruse du people pour le nier

par Olivier Pascault


  Quelques zélés gourous de la République version Marais de gauche l’ont scandé à tue-tête : le référendum du 29 mai 2005 « a marqué le retour du peuple », comme l'écrivait notamment un député socialiste oublié du passé désormais endormi aux maroquins d’Attac. Depuis, les évolutions de la langue courante employée parfois par la presse portent le reflet d’une situation concrète : en créant le rideau de fumée de toute vie publique de nos élus sous la mise en scène du « people », il fut de la sorte décidé de biaiser d'avec le sens du vote du peuple et de ce que signifie "peuple", le 4 février 2008, à Versailles. L’enjeu de la ruse : la marche forcée de l’Europe domestiquant la souveraineté nationale et populaire du peuple sous caution d’un Traité dit « simplifié » européen.



 
Dans l’imaginaire créatif, le peuple ne saurait se confondre avec la foule ou la populace. Notion plurivoque du vocabulaire politique, son usage suppose une échelle des valeurs dépendante des sensibilités politiques et idéologiques, en premier lieu si l’on se place du point de vue de la République ou de la réaction envers elle.

Au long de notre histoire, le peuple peut s’identifier à l’ensemble de la nation ou seulement concorder avec des catégories sociales défavorisées au plan matériel. Depuis la Révolution, le peuple victimaire est devenu le peuple porteur des espérances des émancipations de tous. Plus récemment, la période l’a exhibé et ignoré tout à la fois. Le sens de la notion évolue selon le rythme des mutations sociales et idéologiques. Ainsi, la littérature escortait ces évolutions paradigmatiques dans les fresques de Michelet d’un peuple héroïque et souffrant, chez Péguy dans son rôle moteur de l’épopée nationale, puis dans les romans d’un Zola ou d’un Jelinek où « peuple » rassemble les exclus de tout horizon d’attente collectif dès lors que la politique ne se fonde pas sur la réalité de sa base matérielle.

Depuis qu’une certaine manière de concevoir la politique, en France, veut dissoudre la fondation des principes républicains, des candidats à des élections nationales rusent avec la carence de leur bagage éthique pour substituer à l’acte décisionnaire la prose de leur seule individualité résumée en actes de communication. Ce défaut ne provient pas de leur modernisme supposé ou d’une quelconque avanie intellectuelle. Dans un cadre légal où la souveraineté nationale s’efface depuis la ratification du Traité de Maastricht, les mandatés aux fonctions les plus hautes du pouvoir exécutif sont devenus les sujets d’un conflit entre intérêts privés et amincissement du pouvoir de leur propre peuple (dont ils tiennent prétendument le mandat). Nul étonnement dès lors que le terme journalistique anglo-saxon « people », lequel désignait les pages des magazines consacrées aux actrices et héritiers souvent décadents dans leurs mœurs, soit devenu celui qui qualifie les comportements de communicants de nos champions à la récente élection présidentielle.

Ne plus tenir son mandat du seul peuple souverain, mais le recueillir d’entreprises puissantes et de groupes opérant leur partition singulière dans la lutte pour le repartage du monde, modifie amplement la donne politique nationale.

« Tout pouvoir est un don de confiance –nous sommes redevables de son exercice- tout doit jaillir et exister pour le peuple », rappelait B. Disraëli, député britannique devenu chef du parti tory à partir de 1848 et fin observateur de la Révolution en cours chez nous, ainsi que la montée des organisations ouvrières dans son pays. Il lui semblait vital de répondre à la misère criante du peuple par des lois sociales pour tenter de gommer ses aspirations au socialisme.

Or, depuis la défaite du camp socialiste à la fin des années 1980, la classe dirigeante n’a plus recours à ce leitmotiv de répondre au peuple désorienté. Est passée par là l'alternative révolution-réforme, ou autoritarisme communiste et social-démocratie. De l'autre côté du camp politique, se pose la question du libéralisme édulcoré ou celui plus débraillé qui parvient à tirailler les engagements militants actuels. Reste qu'il n'y a sans doute pas plus important que défendre une philosophie politique des droits de l'homme & du citoyen, en parallèle de ce souci de démocratie. Dès qu'il s'agit d'assagir un débat partisan, et loin des idéologies autoritaires du siècle dernier, communisme ou fascisme, une clef d'analyse s'ouvre sur l'idée de lutte. Mais quel type de lutte ?

Une lutte d’ensemble est-elle possible, des perspectives organisatrices du peuple sont-elles souhaitables ? Répondre à ces questions revient à tirer les enseignements de deux exemples anciens, pris parmi d’autres.

Avec les luttes revendicatives de 1995 (mouvement de grèves contre le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale, des régimes spéciaux et le contrat de plan SNCF) puis les rassemblements avortés autour du non au référendum portant sur le Traité constitutionnel européen de mai 2005, il devient utile de nourrir les analyses de la situation nationale et internationale, et concomitamment salutaires pour fédérer le peuple autour d’une orientation politique générale inscirte dans l'observation. Les perspectives communes à seule fin de redresser son initiative peuvent surgir alors  : la République unissant ses aspirations historiques nous interroge. Rêverie éveillée, allons bon… Plus pernicieux, du point de vue d'une pensée politique inscrite dans la conflictualité, s'agit-il forcément d'adouber la  lutte de rue plutôt que celle qui agit de par le droit à toute sensibilité proprement humaine pour le débat démocratique ?

Car détourner les victoires partielles du peuple, après le renoncement de Juppé face à des syndicats recuits de prébendes corporatistes, puis la victoire du non en 2005, se paie aussi cher qu’une surexposition aux UV partisanes. Réexposer les vues d’une contre-réforme de la Sécurité sociale ou la ratification du Traité de Lisbonne, à l’issue de la réunion du Congrès de Versailles du 4 février 2008, organisèrent à la fois le démembrement de la politique et le mépris du peuple. Or, nous le savons avec Rousseau, qui fut l’inspirateur de pratiques constitutionnalistes, « la souveraineté […] consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point […] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires […] Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. »

A défaut, la révolte gronde et le peuple a le devoir de reprendre son initiative historique sournoise. S'il ne grommelle, qu'importe... la chasse emporte d'autres gibiers. En attendant la prochaine guerre prépare son oeuvre de destruction massive.

Olivier Pascault

jeudi 22 décembre 2011

Portrait 2 / Jules BONNOT, par Olivier Pascault

JULES BONNOT
(14 octobre 1876 – 28 avril 1912)

par Olivier Pascault

Au Pirate de Vernou, tireur de 10.





Jules Bonnot est né le 14 octobre 1876 dans un village du Doubs, à Pont-de-Roide, près de Montbéliard. A l’âge de 5 ans, sa mère meurt. Un peu plus tard, son frère aîné se jette dans une rivière à la suite d’une amourette déçue. Son père est ouvrier fondeur. Il assure seul son éducation. Malgré les heurts de son existence, le petit Jules fréquente l’école mais était qualifié de « paresseux, d’indiscipliné et insolent », dira de lui son procureur d'instituteur. On le serait à moins avec autant de cadavres autour de soi si jeune.

Son monde d’enfant puis d’adolescent est analphabète. Son père est illettré et très affaibli par une condition ouvrière exténuante et exploitée. Les conditions de leur vie sont des plus mauvaises mais on parle de liberté sans cesse à la maison. Or, la liberté appartient aux patrons. Une liberté d’exploiter une main-d’œuvre bon marché tout en spéculant à la petite semaine. cela va de soi. Rien ne change. Le père Bonnot vit dans l’insécurité permanente. L’horizon d’attente est le jour suivant. Rien de plus. Survivre. Faute de culture, de lettres et d’épargne, il ne peut envisager un meilleur avenir.

Le petit Jules n’a guère l’espérance d’échapper à cette misérable existence. Très tôt, si tôt, la vie devient harassante. A 14 ans, Jules commence son apprentissage. Il refuse les coercitions et contraintes. Il refuse la méthode autoritaire qui lie l’apprenti à son maître, selon les préceptes toujorus en vogue. Ainsi, de disputes en démêlés successifs avec ses patrons, Jules Bonnot vit d’expédients. Sa première condamnation, pour bagarre dans un bal, lui pèse sur la tête à 17 ans. En 1901, à 20 ans, il épouse une jeune femme, Sophie, couturière de son état. Engagé dans le mouvement anarchiste, il est renvoyé d’un maigre emploi aux chemins de fer de Bellegarde. Dans toute la région, son nom de combattant est connu des patrons. Ils ne veulent pas embaucher un agitateur « dangereux » qui, aussitôt employé, invite ses camarades à lutter pour gagner une condition meilleure, et d’abord dans le travail, in situ. Résultat pour Jules Bonnot : le chômage, la misère et une bonne dose de désespoir en bandoulière.


Le Grand Jules

Jules et son épouse partent s’installer à Genève. Il trouve une place de mécanicien. Sa femme met au monde une petite Emilie. Elle est la joie de Jules et sa femme, joie et espoir en l’avenir, comme une motivation pour une existence familiale simple. Emilie meurt dans les premiers jours de son existence. Révolté contre ce sort injuste, Bonnot trouve refuge dans l’agitation anarchiste. Les Suisses pourtant réputés impulsifs  l’expulsent et une période instable s’ensuit. Il se fixe enfin à Lyon où ses excellentes et exceptionnelles connaissances pratiques de la mécanique lui procurent un emploi chez un constructeur d’automobiles. Il y parfait son métier. Il devient un véritable artiste de la mécanique, un expert réputé qui ajoute à sa dextérité professionnelle un art qui lui vaudra un succès : la conduite automobile.

Le 23 février 1904, un fils naît alors qu’il s’initie davantage à la mécanique et toutes ses ficelles. Malgré la venue de cet enfant espéré, il ne renonce pas à la propagation des idées anarchistes. Tous les patrons le considèrent comme un « meneur » dangereux, car efficace et persuasif : par lui, des grèves se déclenchent, des appels à conquérir de meilleures conditions de travail, contre l’injustice du patronat. Il quitte donc Lyon pour Saint-Etienne. Du mois d’octobre 1905 à avril 1906, il travaille comme mécanicien dans une firme importante de cette ville ouvrière. On possède un rapport de police qui le présente comme « très violent et méchant ». Ce rapport ajoute par ailleurs : « les renseignements recueillis sur son compte sont mauvais » (les boutiquiers de la préfecture ont la plume morante !) . Il est hébergé alors chez Besson, le secrétaire de son syndicat. Et Besson en profite pour devenir l’amant de Sophie, l’épouse de Jules. Pour éviter la colère de Bonnot, Besson et sa maîtresse fuient en Suisse avec l’enfant de Jules. Bonnot écrit des messages désespérés à Sophie. En vain. Jules ne reverra plus jamais Sophie et son fils. A cela s’ajoute pour Bonnot la perte de son emploi. Sa révolte boue. Sa révolte explose alors qu’il redevient un des nombreux chômeurs de son temps. Il prend la décision d’agir. Entre 1906 et 1907, Jules s’initie à l’ouverture des coffres forts. En même temps, il ouvre deux ateliers de mécanique à Lyon. Son bras droit, pour le travail de nuit est Platano.

En 1910, Bonnot se trouve à Londres. Il devient le chauffeur de Conan Doyle, l’écrivain célèbre des aventures de Sherlock Holmes. De retour à Lyon, fin 1910, il imagine une nouvelle technique pour le travail de nuit. Aucun bandit n’avait jusqu’alors pensé à utiliser l’automobile pour monter des coups. Recherché par la police, il quitte précipitamment Lyon avec Platano et cinq Brownings. Nous ne saurons jamais pourquoi Bonnot abattra Platano. Il le méritait sûrement.

Le 21 décembre 1911, très précisément, commence l’épopée de ce que l’on appelle la Bande à Bonnot. Ce jour-là, Bonnot et quelques autres « illégalistes » deviennent des « Bandits tragiques ». L’époque est à la misère noire, aux injustices nombreuses où l’on est emprisonné pour peu de choses, et même une pomme volée à l'étale. C’est aussi une période où le mouvement anarchiste cherche ses voix de luttes. D’ailleurs, les luttes sociales sont extrêmement nombreuses et sont réprimées dans le sang, la prison ou le travail forcé en camp d’internement.

Le 21 décembre 1911, les premiers bandits exerçant en automobile vont tenir en haleine tout le pays rameuté dans la peur par une presse bourgeoise stupéfaite de tant d’audace et de violence radicale née dans la désespérance et la révolte individuelle. De plus, l’échec évident de la police fait monter les peurs des paisibles bourgeois.

Les faits.
Nus et cliniques.
Ce 21 décembre, vers 9h00 du matin, Bonnot, Garnier, Callemin et un quatrième homme (mal identifié) attaquent le garçon de recettes de la Société Générale, rue Ordener (XVIII° arrondissement, du côté du métro Jules Joffrin pour les parigots), à Paris. Le butin est maigre : 5.000 francs en espèce. L’employé de la Société Générale est grièvement blessé. Le lendemain, le 22, les journaux se déchaînent sur la Bande : son audace se paie de sensations. Bonnot et sa bande ont pris la fuite. Ils abandonnent leur automobile à Dieppe. Ils reviennent à Paris. Ils sont assidûment traqués par une police aux ordres. Ne sachant où aller, Bonnot et les autres gaillards ne savent plus où se réfugier un temps. Ils sont déterminés à se faire tuer plutôt que d’être pris. Par solidarité, mais aussi pour partager une joie révoltée et amère, René Valet et Soudy se joignent à la Bande recherchée.

Le 24 décembre, à la veille de ce Noël 1911, Garnier et Callemin trouvent refuge chez le libraire et propagandiste Kibaltchiche (Victor Serge) et Rirette Maitrejean, tous deux anarchistes. Quelques jours après leur départ de cette planque, Kibaltchiche et Rirette sont arrêtés : ils refusent de livrer Garnier et Callemin.

La Bande est active. En France et en Belgique, elle tente avec succès ou non pas mal de « reprises ». Deux armureries sont pillées à Paris. A Gand, la Bande vole le véhicule d’un médecin. Toujours à Gand, la Bande vole le 25 janvier une seconde automobile. Là, tout se passe mal : Bonnot et ses comparses sont surpris par un chauffeur qui est assommé de plusieurs coups de clé anglaise (encore un coup de la perfide Albion, éternelle rivale de la France catholique !). Un agent de police tente de les interpeller. Callemin l’abat. Eugène Dieudonné se fait arrêté ensuite. Le sieur Caby, notre garçon de recettes de la Société Générale braqué le 21 décembre, le reconnaît comme étant son agresseur. Dieudonné nie le coup de la rue Ordener. A Thiais, le 2 et 3 février, deux vieillards sont assassinés. Le 27 février, à Paris, un policier est abattu après une banale altercation. Le 29 février, le trio tire sur un boulanger alors qu’il tentait de cambrioler un pavillon.

Pour nos illégalistes, toutes les portes se ferment. Ils sont traqué. Sans relâche. Ils sont affamés et ne reçoivent aucun secours. La révolte instillant cette lutte engagée contre la société tout entière ne peut que mener vers une issue fatale écrite par avance. Bonnot et sa bande le sait : la peur de mourir ne les taraude point. Ils iront jusqu’au bout de la fatalité placée sous l’équation révolte / répression. Ils choisissent de devenir des fauves recherchés, traqués par des policiers transformés en chasseurs apeurés mais déterminés. Tous les journaux évoquent Bonnot et sa Bande. Leurs photographies sont publiées, leurs têtes mises à prix. Alors Bonnot veut organiser un coup de force démonstratif et inouï. Il vole une automobile sur la route de Melun et blesse gravement ses passagers. Il prend la route de Chantilly, en direction de la Société Générale. Garnier, Callemin et Valet pénètrent dans la banque l’arme au poing. Soudy guette à l’entrée. Le bilan de cette attaque : deux morts et 50.000 francs de butin.

Deux cents inspecteurs de police sont mobilisés exclusivement sur la Bande. De plus, la banque désirant tranquilliser ses actionnaires et ses riches clients offre une prime de 100.000 francs à qui permettra de capturer morts ou vifs les bandits. Durant une semaine, les quotidiens fort nombreux à cette époque titrent en Une ce fait divers, comprenant des pages entières à Bonnot et chacun de ses complices, les blessés des braquages et vols, les témoins divers et formant une foule désirant, comme à chaque fois qu’on monte en épingle une affaire, sortir de l’anonymat et montrer son portrait dans le journal. Les photographies publiées sont elles aussi nombreuses que les articles des pisseurs de copies.

Soudy est arrêté à Berck-sur-Mer le 30 mars. Le 7 avril, Raymond Callemin se fait arrêter à son tour. Le 24 avril, un dénommé Monier est à son tour arrêté avec deux Brownings chargés : il a participé aux affaires de Montgeron et de Chantilly.

Pendant ce temps, Bonnot loge dans un appartement à l’insu de son propriétaire. Fin avril, le sous-chef de la Sécurité le repère et tente de l’appréhender. Bonnot le tue et s’enfuit blessé au bras.

Après l’assassinat de Jouin, Bonnot devient prudent et conçoit sa fuite avec sérieux et intelligence : il garde une allure raisonnable, ne se presse jamais lorsqu’il marche et ne montre pas de signes d’homme ardemment recherché. Il reste naturel. Il gagne ainsi Paris sans encombre. Chaque soir, il change de cache.

Tout le monde est persuadé qu’on trouvera Bonnot. En, haut lieu, il est décidé de le tuer sans jugement. Cette décision emporte tous les suffrages préparés par une campagne de presse en amont depuis des semaines. Encouragée par le gouvernement, jamais la police n’a envisagé un instant de capturer Bonnot vivant. Les chasseurs veulent un cadavre, du sang pour expier leurs échecs successifs.

Bonnot est libre. On pense avoir perdu sa piste lorsqu’un pharmacien de Choisy-le-Roi déclare avoir administré des soins à un homme blessé à la main et dont le signalement correspond à notre fuyard. Et en effet, Bonnot a trouvé refuge chez l’anarchiste Dubois, mécanicien comme lui.

Le dimanche 28 avril, une quinzaine d’inspecteurs cernent le pavillon de Dubois. Celui-ci se trouvait dans le garage et leur tire dessus avant de se faire abattre. Bonnot se barricade et blesse un inspecteur. Le tir, mal nourri, est suffisant pour tenir en respect les policiers qui restent à couvert. Ils pensent que Bonnot n’est pas seul. Le siège commence. Tout Choisy est réveillé.

De Choisy, Alfortville, Thiais et de plus loin encore, des hommes arrivent armés de carabines, de fusils de chasse. Autour du pavillon Dubois, 500 hommes armés sont disséminés. Le Maire de Choisy et le Préfet Lépine (dont le concours sert à masquer ses crimes) arrivent à leur tour. Deux compagnies de la Garde républicaine accourent successivement sur les coups de 9h00.

De toute la banlieue et de Paris, on continue d’affluer en masse vers Choisy : le spectacle va commencer !

Vingt milles spectateurs parviennent jusqu’à Choisy par fiacres, train, automobiles ou tout bonnement par pérégrination pédestre. Ordre est aussi donné d’acheminer au plus vite un régiment entier d’artillerie stationné au Fort de Vincennes. On réclame une mitrailleuse lourde. Un cordon de tirailleurs cerne en outre la maison. Un homme seul attend sa mort. Il lutte.

A midi, près de 30.000 personnes se trouvent autour du pavillon. 30.000 personnes veulent expier leurs peurs et souhaitent conjurer l’illégalisme de la sorte : par un spectacle. La fusillade ne connaîtra aucun répit. Le fauve Bonnot est à l’agonie mais il se bat des heures durant.

Tous les assiégeants s’imaginent jouer le rôle de leur vie : un rôle historique. Tous se persuadent qu’ils doivent venger les crimes de Bonnot. Rires, conversations, boissons et nourritures circulent. On est au spectacle à l’ancienne : on bouffe, on rit, on s’esclaffe. Manquerait plus qu’on baise.

Toutes les réjouissances sont possibles parce que Bonnot, depuis sa cache, ne peut ni voir ni observer ces redresseurs de la morale sauve et de l’honneur retrouvé à 30.000 contre un. Tous hurlent « A mort, à mort !!! ». Le bourreau est une foule. Pris individuellement, on a là, cernant Bonnot, une belle brochette de pleutres, de lâches, de culs bénis, de buveurs et de cogneurs de femmes et gamins pour la plupart d’entre eux. Le nombre, la foule donne un sentiment de toute puissance infinie, d’ambiance de vengeance légale, d’invincibilité. Le bourreau collectif a cru, accepté et pris fait et cause pour les récits les plus fantaisistes de la presse sur Bonnot.

Décision est prise de dynamiter le repère de la bête.

Bonnot se sait perdu. Sous les tirs nourris de la soldatesque unie à la foule de chasseurs et la police, il rampe sous la table, prend plusieurs feuilles et rédige une sorte de testament. Le siège est plus assuré. BOUM ! Le pavillon est dynamité. Explosion. Décombres. Poussière. Des débris de pierre frappent Bonnot. Il trouve refuge et un semblant de protection sous deux matelas. Son sang soule en abondance.

Une seconde fois, on dynamite la maison. Puis les policiers décident de pénétrer dans ce qui reste du bâtiment. Ils entrent dans la première pièce. Personne. Ils entrent dans la seconde pièce, la chambre. Bonnot est là, devant eux. Il lutte. Il respire. Il lutte aussi contre le chagrin, la fatigue et les blessures. Il lutte encore contre le dégoût. Il crie « salauds ! » et a la force de tirer trois balles. Les bons justiciers répliquent. Le sang s’élargit sur le sol. Le symbole de l’illégalisme, le Bandit tragique est fini. Bonnot vient d’être touché de 6 balles.

Bonnot est sorti de sa tanière comme on exhibe le gibier. L’allégresse est à son comble. On le transporte à l’Hôtel-dieu où il  rejoint Dubois à la pièce froide : la morgue. Dubois était un militant. Ni voleur, ni assassin, il était un militant pour l’idéal anarchiste et fidèle à ses amis. Son sacrifice pour un ami, pour une idée de l’homme. Pour l’idée simple : la trahison n’existait pas en lui. Au cri de Bonnot l’avertissant de la venue de la police, il a préféré mourir et se faire tuer pour cet idéal de fraternité.

Deux amis reposent à la morgue.

Pendant ce temps, la police et l’armée sont à la parade. Jour de fête, jour de liesse, on met en place une vente aux enchères sur le lieu de la tuerie : le pavillon. On vend de la poussière, des débris, des vêtements, tout et n’importe quoi pourvu que le lieu de la sainte exhortation du Mal et au retour de la morale philistine sauve serve à fournir des reliques et amulettes.

J’oubliais : quand on veut être assuré de la mort d’un homme, on lui donne un « coup de grâce ». Le préfet Lépine en personne s’est chargé de la besogne. On dit qu’il a tiré avec un grand plaisir sur l'homme couché et blessé.

Deux membres de la Bande sont encore en liberté. Garnier et Valet sont toujours en cavale. Ils sont hébergés dans un pavillon de Nogent-sur-Marne. Le 14 mai, la Sûreté les repére. Pour éviter le spectacle qui eut pu fomenter d’autres révoltes, et éviter la mascarade et le ridicule de la boucherie envers un homme seul, tout le plan fut fixé en grand secret. Ce sera pire, en fait. Le pavillon est cerné et les inspecteurs de la Sûreté seront accueillis dans le jardin par des coups de pistolets. Un siège incroyable, inouï et fou, jusque là inconnu dans les annales de la police va commencer.


Eugène Dieudonné

Pour tuer Garnier et Valet, car il faut les tuer ! neuf heures de fusillades ininterrompues seront nécessaires. Des centaines de policiers, un bataillon de zouaves, des mitrailleuses lourdes, un arsenal incroyable pour deux hommes sera élevé. Plusieurs inspecteurs seront touchés. Un second bataillon de zouaves, c’est-à-dire 300 hommes, arrivent au pas de course, comme à l’entraînement. La foule est dense. Elle les ovationne comme des héros bibliques. 200 gendarmes armés se placent en outre en embuscade. Le pavillon est dynamité. La toiture ne résiste pas. Garnier et Valet sont vivants. Ils se battent. La nuit tombe. A minuit, 40.000 personnes au moins sont au spectacle. Deux autres compagnies de zouaves sont dépêchées à Nogent. Un nouveau dynamitage est tenté. Sas succès. Valet et Garnier visent bien. A nouveau, un inspecteur est tué. Ils sont déchaînés. Faute de munitions, la troupe cesse son tir après minuit. Arrive sur place le ministre de l’Intérieur. Le pavillon est éventré par un dynamitage. Alors les policiers tentent une approche. Brusquement, c’est la débandade la plus complète : Valet et Garnier mitraillent les policiers à bout portant. Deux blessés sont faits à l’issue de la fusillade. Puis sonne un « cessez-le-feu ». Le tout dernier. Soldats et policiers se précipitent et lancent un assaut général dans une bousculade qu’on a peine à décrire. Ils parviennent dans la pièce de la maison où se sont retranchés nos deux bandits tragiques. Pour un spectacle, c’est une foire de sang sur le sol et les murs, de chairs, des centaines de douilles vides. Il est 2h00 du matin. Garnier et Valet tirent encore. Ils sont liquidés.

A 3h00, tout est terminé. Le siège a duré plus de neuf heures. 100.000 spectateurs viendront sur le lieu de l’exécution conçu dans une minutieuse discrétion. Les corps de Garnier et Valet seront jetés le lendemain dans la fosse commune du cimetière de Bagneux. Là où reposent les miséreux et sans famille.

Bonnot et ses hommes assassinés par la police et les soldats, il reste des complices incarcérés.

Pour Callemin, Soudy et Monier qui avait hébergé Bonnot, la peine de mort est prononcée. Pour Dieudonné, dont on n’a jamais été vraiment sûr de sa participation au coup de la rue d’Ordener, c’est aussi la tête qui est voulue. Deux autres sont condamnés aux travaux forcés à vie. Un autre à dix puis encore six ans. Pour Kibaltchiche, 5 ans (ou 8 ans, on ne sait plus) de réclusion sont prononcés par les juges.

Les condamnés à mort ont été exécutés le 21 avril 1913. Dieudonné est gracié in extremis avec une peine commuée en travaux forcés à perpétuité.

Nul ne trépasse, au final. Les heurts sont des escarmouches répétées. La délibération, dès qu'elle disparaît, aboutit à des engeances... impitoyables... et extrêmes.

Olivier Pascault
(à partir d'une chronique radiophonique lue en 2008)


citation 21 / Enrique Vila-Matas

« Ne rien écrire sous prétexte d’attendre la venue de l’inspiration est un vieux truc, qui marche toujours. Stendhal lui-même y a eu recours, comme l’atteste son autobiographie : « Si vers 1795 j’avais parlé à quiconque de mon projet d’écrire, tout homme sensé m’eût conseillé d’écrire deux heures chaque jour, avec ou sans inspiration. Ces mots m’eussent permis de profiter des dix années de ma vie que j’ai complètement perdus à attendre l’inspiration » ».

Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie, Christian Bourgois Ed., 2002
Bartleby y compania, trad. de l’espagnol (castillan) par Eric Beaumartin, 2000, page 46.

mercredi 21 décembre 2011

Citation 20 / Roger-Pol Droit sur Michel FOUCAULT

" Foucault a fait comprendre combien les effets de vérité et rapports de forces ont partie liée. Il n’y a que de la guerre, partout, et sans fin, surtout sans fin, sans origine ni terme, sans victoire ni trêve, avec seulement des évolutions, des changements de style ou de terrain. Tel est son enseignement de fond : le combat comme dimension essentielle de la pensée et de la vie. Sans doute Nietzsche l’avait-il vu, sans compter Héraclite et sa grande intuition de la discorde. Mais c’est Foucault qui a permis d’entrevoir la richesse de cette perspective.

L’urgence, ce goût de l’agir appartenant à la fièvre, pousse à intervenir dans des luttes, à les infléchir ou les modifier. Elle s’accompagne chez Foucault d’un souverain mépris de la métaphysique et de ses embarras risibles. Il a été possible de le suivre sur ce registre dans un domaine déterminé, le journalisme. J’ai souvent pensé, avec émotion et gratitude, à cette manière qu’il avait de considérer la presse comme un lieu d’intervention pour un intellectuel. Un lieu permanent, légitime, essentiel. Pas un domaine d’incursions ponctuelles, où passeraient des signatures de prestige. Foucault incitait à une urgence journalistique vécue du dedans, au sein des rédactions, selon des modalités qui demeurent évidemment, pour chacun, à inventer."


Roger-Pol Droit, Michel Foucault, entretiens, Ed. Odile Jacob, octobre 2004, pp. 21-23)

Citation 19 / Michel Foucault, 1982

« Ce qui fait l’intérêt principal de la vie et du travail est qu’ils vous permettent de devenir quelqu’un de différent de ce que vous étiez au départ ».

Michel Foucault, 1982.

mardi 20 décembre 2011

Article 8 / Disettes, famines, révoltes pour le pain IN "le Dictionnaire universel du pain" (1/2)

Article "Disettes, famines et révoltes pour le pain en France" -
Dictionnaire universel du pain,
ss. la dir. de JP de T.,
Ed. Robert Laffont, coll. "Bouquins", automne 2010, pp. 306-308)

Olivier Pascault




Disettes, famines et révoltes pour le pain en France.

Des variations climatiques aux crises historiques que sont guerres, disettes et famines engendrent réactions, colères, troubles sociaux et révolutions modernes. Sous l’Ancien Régime, les famines sont liées aux difficultés nées des grandes guerres. Mais pour l’essentiel, elles sont engendrées par des conditions météorologiques défavorables au développement et aux récoltes des grains, depuis les semailles jusqu’à la moisson : pluies excessives, grands hivers. Et inversement, échaudage et sécheresse, l’un et l’autre étant la conséquence notamment des canicules. Les troubles et mouvements sociaux qui s’en suivent sont évidemment politiques ou strictement socio-politiques, au sens plein et dramatique du terme. Ces périodes de cherté excessive des subsistances, cherté du pain quotidien, accroissent notoirement le mécontentement plébéien ambiant et jettent de l’huile sur le feu révolutionnaire ou simplement contestataire qui, bien souvent, couve. Ainsi les mauvaises récoltes de 1788 précipitent une dynamique déjà à l’œuvre, qui aboutit aux événements de 1789. De 1827 à 1832, la cherté du pain accompagne les Trois Glorieuses et détermine une crise institutionnelle radicale. L’année 1846 est marquée par la conjonction chaleur-sécheresse, exécrable pour la production céréalière. Autant de facteurs qui accroissent les tensions et conduisent à de la Révolution de 1848. Au plan météorologique, trois grands acteurs déterminent essentiellement l’adversité du climat sur les mauvaises récoltes. Il y a d’abord les dépressions venues de l’Atlantique, porteuses éventuellement de précipitations excessives et scélérates pour les moissons. Ainsi ce fut le cas en 1315, en 1692, en 1816. En second lieu les très grands hivers, nés des incursions d’air arctique, donc de l’anticyclone d’origine scandinave, génèrent des crises agricoles graves, comme celles de 1709 ou 1956. Enfin les canicules estivales dérivent d’un expansionnisme considérable de l’anticyclone des Açores sur nos territoires ouest et centre-européens avec effet négatif sur les rendements des céréales.

Dépressions venues de l’Atlantique.


Les perturbations surtout printanières et estivales venues en trop grand nombre de l’Ouest, donc de l’espace océanique, les ciels mouillés, les soleils brouillés, pourrissent les moissons sous l’excès des pluies. Elles produisent à l’âge médiéval ou moderne de simples disettes ou de vraies famines par déficit des récoltes de blé, celui-ci devenant détrempé, en germes ou en gerbes. Ce fait a conditionné les célèbres famines de 1314-1316 en Europe occidentale et centrale. Les historiens médiévistes s’accordent pour en voir la raison de la fin du Moyen Age gothique. Années trop humides, pluies incessantes, mauvaises moissons déterminent des vagues de mortalités. Les épisodes  à fortes pluies d’étés ne manquent pas au cours de la longue période qui va de l’an 1315 jusqu’à la fin du petit âge glaciaire, que l’on situe vers 1860. Surtout en France, la grande famine de 1693 est une catastrophe préparée par des abats d’eau incessants dès l’été et l’automne 1692. Son bilan est dramatique : famine et épidémies s’ensuivent causant la mort de 1.300 000 sur une population française de quelques 20 millions de personnes (1693-1694). Plus tard, l’épisode de 1740 se caractérise par quatre saisons froides, dont trois saisons très pluvieuses provoquant, là encore, une disette importante. L’année 1816 fut une année sans été, sans récoltes. Sur toute la planète les poussières ont encombré le ciel à la suite de l’énorme explosion du volcan indonésien de Tambora l’année précédente. Par ailleurs, l’excès des pluies pendant plusieurs années, de 1648 à 1650 et de 1827 à 1831, a généré une incroyable cherté du pain, fomentant la première Fronde (1648-1650) ; puis la révolution de 1830.

Incursions d’air arctique.


L’hiver de 1709 reste le plus terrible que l’Europe ait connu en cinq cents ans. Il a déclenché la famine par destruction des blés en herbe en raison du gel. Les semis gelaient en terre. Le manque à gagner de la production des grains a provoqué, par ricochets, 600.000 morts en France. Les morts le furent de froid, le plus souvent de faim et à cause des épidémies collatérales (typhus, dysenteries, fièvres) que provoque la sous-alimentation excessive. Un peu plus tard, le grand hiver de 1829-30 porte préjudice aux semis des céréales et contribue ainsi à la cherté des subsistances lors des prodromes de la révolution, essentiellement politique, de juillet 1830.

Expansionnisme de l’anticyclone des Açores.


A côté des grandes incursions d’air arctique, l’anticyclone des Açores est lui-même responsable de crises alimentaires engendrant des mortalités importantes. Ainsi furent les années 1420, 1719, 1788, 1811, 1846. Les conséquences de ces canicules semblent plus graves sous l’Ancien Régime en raison des conjonctions entre climat et donne économique, surtout avant 1860. Le petit âge glaciaire était encore dans toute sa force jusqu’à 1860 précisément, mais n’empêchait pas des étés chauds, voire caniculaires, notamment au XVIIIe siècle, période où s’effectua un assez remarquable réchauffement estival entre fraîches décennies 1690-1700 et 1812-1820. Les spécialistes distinguent deux types de traumatismes caniculaires. Le premier type se caractérise par les mauvaises moissons. La mortalité due aux maladies infectieuses touche les enfants du fait de la pollution microbienne dans les nappes phréatiques et les rivières ainsi que les grains touchés par les microbes et bactéries. Les dégâts sur le système digestif des enfants et des adultes sont considérables. La toxicose a marqué les chauds étés du XVIIIe siècle. Ainsi la France compta, en 1719, 450.000 morts supplémentaires dus à la dysenterie caniculaire ainsi qu’à d’autres infections. Ce fut une mortalité sans disette. Quant à la disette proprement dite, avec ou sans mortalité, ou disette céréalière, elle est provoquée par l’échaudage et la sécheresse. Elles détruisent les céréales et poussent aux révoltes des peuples face à des autorités publiques incapables de gérer des stocks de grains soumis à la pression du marché. La famine francilienne de 1420, dans le bassin parisien, a été effectivement provoquée par un été brûlant la même année. L’été très chaud de 1556, avec des incendies de forêt et cultures céréalières jusqu’en Normandie, est un autre exemple de crise. Ces dates cruciales coïncident avec les dates des révoltes ou révolution telles que 1788, 1846. L’année 1788 constitue à cet égard, si l’on peut dire, une sorte de modèle. L’automne 1787 se caractérise par de fortes pluies éprouvant les semailles automnales. Au cours d’une année 1788 assez uniformément chaude, l’été débute avec des moissons qui grillent sur pied. Les récoltes de céréales sont maigres. Puis les intempéries de l’été 1788, avec grêle, orage, averses et une sorte de temps de mousson, humide et chaud, finit d’abattre les épis ou les fait verser. La récolte de 1788 est alors diminuée d’un tiers, les prix du blé montent en flèche, les émeutes de subsistance sont dans la rue jusqu’au 13 juillet 1789. Notons qu’il n’y a pas de mortalité supplémentaire en 1788-1789 : l’effet contestataire est immense, l’effet sur la mortalité est très mince.


En 1846, tout l’hémisphère Nord est plus ou moins affecté par un épisode chaud et sec. Sous Louis-Philippe, et même lors de sa chute, les conséquences vont se révéler considérables : baisse d’un tiers du rendement des moissons, conjuguée à la raréfaction des pommes de terre, celle-ci déterminée par les spores du fungus infestans venus des Etats-Unis jusqu’en Irlande et sur le continent européen. La mauvaise moisson de 1846 entraîne une cherté du pain, ainsi que des mortalités déclenchées notamment par la médiation des épidémies collatérales. Lesquelles se développent sur la misère physiologique des populations pauvres, endémiquement sous-alimentées de fait. La concentration par ailleurs du pouvoir d’achat en 1846-1847 sur le pain, lui-même devenu trop cher, accroît une mévente du textile qui génère un chômage ouvrier. Mécontentement social et révoltes débouchent sur un mouvement populaire fait en février 1848 et la Révolution qui proclame « Droit au pain, droit au travail » dans l’enceinte du Sénat où se tiennent les dirigeants insurgés.

Dans un tout autre contexte, celui du XXe siècle et des étés caniculaires comme celui de l’année 1947, les causes habituelles des mauvaises révoltes se trouvent semble-t-il désormais majorées par les mécanismes complexes désignés par l’expression « effet de serre », comme au cours des années 1976, 2003 et 2006. Les manifestations dangereuses de cet anticyclone açorien nous sont devenues familières depuis désormais quelques années, et pas seulement en France : les mauvaises récoltes céréalières des pays du Sud provoquent disettes, cherté et révoltes du pain, notamment sur les continents africain et asiatique en 2007 et 2008.


Olivier Pascault















JOSE GALDO, un ami (extraits)

José Galdo

Extrait de Le Recrachement des doublures…, dessins de Nicolas Rozier, Ed. Au Fond du Grenier, 2010, page 36.


- et votre manuscrit sera détruit…

- là où il n’y a rien… dans la gamelle des mots morts… là où le néant creuse les cendres tombées des corps…

bord de bloc
au billard du vide
nasse de glace
sas de râles
aux masses où s’enragent des coups de clous
et perdre ses forces
et perdre son corps glissé dans la coulisse des roulis de la
lumière noire
et feulement dans la fente du lâcher prise ou se retourne le
cristal des méandres de la faille
delta de l’envers sous les floraisons de l’anneau d’ombre
corolles de givre
comme des cristaux de sang dans l’arborescence des
confins

- et qui vaque au vide perd son corps aux dernières cartouches
du troisième livre des morts…

et se love dans l’œuf noir
sans miroire
sans source
au murmure du vent où s’ouvre la rumeur

  • Editions Au Fond du Grenier – 3, rue du 11 Novembre – 54270 Essey-Lès-Nancy
site : www. aufondugrenier.com


lundi 19 décembre 2011

L'Authenticiste - revue (sommaire & abonnement)

L’Authenticiste

Numéro 11 – nouvelle série, été 2011

Sommaire 

Editorial : 1994-2011, renaissance de L’Authenticiste, par la rédaction

Essais
  • Misère d’une époque sans grandeur d’âme (sur Boule de Suif, de Guy de Maupassant), par Jean-Yves Guigot
  • Contexte historique de Boule de Suif, par Olivier Pascault
  • Trois lignes africaines de Bel-Ami si actuelles, par O. Pascault
  • Maupassant pistolier, par O. Pascault
  • Extrait d’un essai sur Xavier Grall, par J.-Y. Guigot

Chronique de Franck Brénugat sur la trilogie de Pierre Bordage, L’Enjomineur

 
Proses
  • Le regret de la vie, par Chantal Droit
  • Le journal vit sa vie, par C. Droit
  • « Suites du cantalou » : Plénitude de la simplicité, par J.-Y. Guigot & Boules de vie, par Daniel Michelson
  • La discrète à domicile, par D. Michelson
  • Extrait d’un roman de J.-Y. Guigot

Poésies
  • Céline Guillemain
  • « Le chantier à rimes des enfants » : poésies d’Ambre (11 ans) & Héloïse (12 ans)
  • D. Michelson
  • José Galdo
Entretien avec Fabrice Blondeau, de la Librairie Dédicaces, par J.-Y. & Evelyne Guigot

Revue L’Authenticiste
(Publication de l’association Place Aux Sens)
·         5 euros le numéro (frais de port compris)
·         24 euros l’abonnement pour 4 numéros saisonniers (frais de port compris)
chèque à l’ordre de Place Aux Sens, à expédier à :
Place Aux Sens (abonnements)
77, avenue Joliot-Curie / 92000 Nanterre

Adresse mél de la rédaction : revue-l-authenticiste@voila.fr

Comité de rédaction : Franck Brénugat, Gaël Hauser, Jean-Yves Guigot, Olivier Pascault
Direction de la publication & de la rédaction : O.P.
Administration & gestion : Evelyne Guigot

Citation 19 / R. Jaccard encore une fois...

"(...) le lecteur le plus naïf se doute bien que quiconque entreprend de raconter sa vie la transforme fatalement en roman, unique moyen d'échapper à la platitude et seule voie d'accès à une vérité intérieure qui ne cesse de se dérober.
Nous ne prenons momentanément forme et consistance qu'en devenant fiction d'une fiction, ce qui implique un certain génie du dédoublement, ainsi qu'une cruauté (...)."

Roland Jaccard (IN : Retour à Vienne, 2007 - page 44)

mercredi 14 décembre 2011

Citation 18 / Stefan Zweig (sur Nietzsche)

« N’appartenant à aucune croyance,
n’ayant prêté serment à aucun pays,
ayant à son mât renversé le drapeau noir de l’immoraliste et devant lui l’inconnu sacré, l’éternelle incertitude  dont il se sent démoniaquement le frère,
il appareille continuellement pour de nouvelles et périlleuses traversées.
Le glaive au poing, le tonneau de poudre à ses pieds,
il éloigne son navire du rivage et, solitaire dans tous les dangers, il se chante à lui-même, pour se glorifier, son magnifique chant de pirate, son chant de la flamme, son chant de destin ».


Stefan Zweig, « Nietzsche », 1930

jeudi 1 décembre 2011

Citation 17 / Leo Strauss (sur la persécution & l'art d'écrire)

"L'effet de la persécution sur la littérature est précisément qu'elle contraint tous les écrivains qui soutiennent des opinions hétérédoxes à développer une technique particulière d'écriture, celle à laquelle nous pensons lorsque nous parlons d'écrire entre les lignes".

Leo Strauss,
IN : La persécution et l'art d'écrire (1952).


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[commentaire - Olivier Pascault]


Leo Strauss (1899-1973) découvre cette technique d'écriture philosophique de la persécution lors de ses études et exégèses de grands auteurs de la philosophie "ancienne" : Platon et Spinoza, Maïmonide et Al-Fârâbi (confer notre article "Al-Fârâbi, passeur de Platon au Moyen Age" - http://latelierduserpentvert.blogspot.com/2010/11/les-oublies-1.html)

Ces deux derniers auteurs écrivaient dans des pays où la philosophie était illégitime du point de vue des autorités politiques. Ils n'étaient nullement libres de publier leur analyse véritable. Afin de contourner tout interdit, ils prirent l'habitude judicieuse de rédiger deux contenus différents : le premier s'adressait à tous, de manière claire, par des enseignements destinés à la multitude (ligne exotérique) ; le second était réservé à quelques initiés capables de lire entre les lignes, et donc susceptibles de saisir la pensée profonde de l'auteur par une compréhension des clefs scripturaires de l'auteur (ligne ésotérique).

Cette herméneutique particulière de l'art d'écrire est, pour Strauss, corrélée au schème de la pensée artistocratique trouvant ses racines dans la tradition grecque. Ainsi, il existe deux niveaux distincts du penser : le premier niveau s'adresse à l'élite, et le second niveau, fort éloigné des critères du premier formant l'étalon d'analyse, est destiné à la masse des non philosophes.

C'est pour cette raison que, sui generis, Strauss n'apprécie guère les auteurs et penseurs des Lumières qui, eux, avaient pour objectif éducatif de rendre compréhensible au plus grand nombre toute thèse et toute pensée, notamment s'agissant des idées politiques libérales. De Montesquieu à Rousseau, ils sont sur le gril de Strauss au même titre que la plupart des philosophes classiques des XVII-XVIIIè siècles.
Nonobstant cette singulière lecture de Strauss,  nous disposons-là d'une grille d'interprétation d'auteurs pénétrés d'engagements totalitaires. Ainsi, elle peut s'appliquer à la lecture de deux des figures contemporaines de l'engagement controversé : le philosophe Martin Heidegger et le juriste Carl Schmitt.  Dès 1933, ils prêtèrent serment au parti nazi (NSDAP) et nombre de leurs écrits suscitent encore aujourd'hui polémiques, selon que l'on s'affilie ou non à leur oeuvre, ou selon qu'on interprète celle-ci de manière littérale ou en lien à leur ontologie politique inscrite dans leur oeuvre même.