vendredi 31 décembre 2010

Les contemporains - 8 / Brigitte Kernel, par Olivier Pascault


Brigitte Kernel & la tueuse née en chaque femme

par Olivier Pascault


Nulle part est écrit qu’une grande littérature populaire ne soit pas acoquinée à un zeste de noir pour être créatrice et haute en intérêt de découverte par nos lectures. Depuis son Ventre des lucioles, Andréa H. Japp est entrée en collection chez Flammarion et réussit un pari incroyable : elle propose, ni plus ni moins, le talent littéraire à l’état brut, mêlant belles-lettres averties et rigueur exercées par des plumes talentueuses et novatrices dans un catalogue que nous suivrons de très près au futur, à l’instar de ce que l’excellent Nicolas Bouchard nous confia à lecture à la fin 2001 (une histoire bruissante dans le Limoges de 1900, La Ville noire, à commander auprès de votre libraire pour qui veut plonger dans une fiction mêlant dérives dans un siècle où s’affrontent les fils et pères ayant vécu, par-delà les barricades de la Commune de Paris, en 1871).


Brigitte Kernel est de ceux là, de ces plumes certes déjà remarquées par le prix Paul Guth du Premier roman, prix amplement mérité avec Une Journée dans la vie d’Annie Moore (Ed. Presses de la Renaissance, 1993, réédité en poche chez J’ai Lu, 2002). Là, avec son roman Autobiographie d’une tueuse, Brigitte Kernel atteint la plénitude de son art de marier les contrastes et mystères de la palette scripturale : noir et rose.


Eugénie Grandet, alias « Génie », est une splendide octogénaire littéraire habitant Neuves-Maisons. Autour d’elle, les cadavres s’amoncellent en autant de rivalités affirmées et de semonces envers les gênes possibles, destinée à vivre bien, à gagner le pari de devenir la doyenne du bourg. Pour elle, nettoyer ses cauchemars d’enfant passe par une minutieuse exécution qui ne l’a fait remarquer de personne, pas même d’une police pourtant si proche dans son cocon familier. En effet, comme l’enseigna la bonne tante Faujeron à Génie enfant : « Le crime parfait est à la portée de tout le monde ; il suffit de jouer sur la gamme des drames domestiques, des sur ou sous-médications » (p.29). Belle antienne que cela. Toutes ses frustrations sont vengées, une à une, sans rien laisser de cette évidence que supporte la tueuse en elle. C’est ainsi qu’Eugénie voue une admiration obsédante à Clémence, la charmante plante télévisée qui anime, canines plantées au sol, yeux sur la courbe de vie, l’audimat ; alors qu’elle ne manque pas une seule de ses émissions, Retrouvailles, Génie lui écrit, fait son possible pour se faire remarquer d’elle, mais Clémence n’y prête pas plus d’attention qu’à l’ensemble de son public. Pourtant, Génie parviendra à brusquer les événements, à s’immiscer dans le déroulement d’une émission devenue le phare d’une retrouvaille qu’il nous faut laisser en suspens.


Brigitte Kernel signe là un livre distrayant, écrit avec les nerfs de la maîtrise de l’autobiographie fictive soutenue par des dialogues savoureux d’une tueuse au prise avec ses démons, sa soif de ruiner tout ce qui ne va pas en son sens, dans un monologue de diariste à ces chers disparus. De belles formules sont ainsi délivrées dans ces trois cents pages qui éclairent ce que peut être la psychologie d’une authentique tueuse : « Non, je n’ai jamais regretté de t’avoir enlevé le souffle. Je t’aime tant depuis que tu dors à quatre mètres sous terre » (p.137).


Noir et rose, deux nuances qui déchaînent les passions dans mon entourage de liseurs entre ceux qui sont dérangés par une apparente mamie joviale ou bougonnante selon l’humeur, et ceux qui plongent avec délectation dans la sauvagerie d’un beau personnage littéraire ironisant finalement pas mal sur une émission et son animatrice moqueuse et retorse. La vengeance est un plat froid, assaisonné de dilection pour ceux qu’Eugénie tue. Parce que l’on apprend au fil des pages ce qu’il en fut de sa jeunesse désertée par le sens moral des limites, du respect pour la vie. Brigitte Kernel sait décrire la peur envers l’autre, cet autre qui est une pulvérisation de soi, et donc une figure naturellement terrifiante s’il observe et se fait juge. Rose et noir, les couleurs que Brigitte Kernel adopte pour dénuder la déviance de la douleur et de la force, l’instinct maternel et le désir naturalisé de meurtre en une confusion des sentiments à la furie insolite. Eugénie Grandet est en somme la protagoniste exemplaire d’une submersion réciproque et rare entre carnation et pensées, entre histoire vécue durant l’enfance et réalisation de la vengeance comme fait on ne peut plus spontané. Nous en avons l’assurance, Autobiographie d’une tueuse, de Brigitte Kernel, est un bel ouvrage qui conquerra un public avec l’aisance de l’attrait pour les vieilles dames fardées et minaudes qui nous grondèrent de plaisir, alors qu’enfant nous poussions le « vice » à nous asseoir sur le siège du bus : avec l’innocence de l’âge serein, libre et somme toute dubitative à l’égard de leurs cheveux mauves.

Olivier Pascault
[critique parue dans Place aux Sens, n°5, 2002.]


·        Brigitte Kernel, Autobiographie d’une tueuse, roman, Ed.  Flammarion, coll.  « noir », 2002, 304 p. (19 euros).



dimanche 26 décembre 2010

Citation 10 / Roland Jaccard (et le froid...)

"L'homme élégant est indifférent au froid de l'hiver : ce sont les coeurs glacés des hommes qui lui font peur".


R. Jaccard (in L'Homme élégant, 2002)

vendredi 24 décembre 2010

Citation 9 - J. W. Goethe

"Seul, l'individuel nous plaît; d'où notre goût pour toutes les révélations personnelles, confessions, mémoires, lettres et anecdotes, même concernant des gens sans importance. Il est parfaitement oiseux de se demander s'il convient d'écrire son autobiographie. Je considère celui qui le fait comme le plus courtois des hommes. S'il commmunique sa propre expérience, peu importent les motifs qui l'y incitent".


J. W. Goethe, Poésie et vérité

lundi 20 décembre 2010

Les contemporains - 7 / George MOSSE, par Olivier Pascault

Du troisième au quatrième Reich…

par Olivier Pascault


            Les éditeurs du volume de George Mosse (1918-1999) ont choisi d'inverser titre et sous-titre de la version originale. En français, le titre exprime fort bien le projet de l'historien américain : montrer comment tout un ensemble d'élaborations idéologiques a imprégné la société allemande depuis le XIXe siècle et préparé nombre de ralliements au nazisme. Lequel est parvenu à ramasser tout l'héritage antérieur en l'adaptant à ses objectifs politiques. C'est un terme ardu à traduire, et d'ailleurs non traduit explicitement, qui rassemble ces idées, celui de völkisch (de Volk, peuple). Il désigne un conglomérat hétérogène de penseurs, écrivains et militants qui exaltent la communauté allemande unie par une essence transcendante.

            Cette problématique est loin d'être académique pour George Mosse qui, fils d'un patron de presse juif de Berlin, put quitter le pays en 1933. Après avoir séjourné en Europe continentale, il poursuit sa carrière d'historien aux Etats-Unis. Toute son oeuvre, à partir des années 1960, est consacrée à comprendre la « révolution fasciste ». La méthodologie qui le guide s'affirme nettement dans The Crisis of German Ideology (1964, pour la première édition) : une histoire intellectuelle et culturelle qui ouvre des horizons et donne force aux discours et idéologies, scrutant la dimension religieuse irrémédiable du politique.

            Pour conduire sa démonstration, Mosse détaille une galerie de personnages plus ou moins inspirés, parfois délirants ou empreints de romantisme. Tous font l'apologie de l'enracinement, du passé allemand, du lien entre le peuple, le pays et un cosmos particulier. La plupart font montre d'un antisémitisme variable, selon leurs postures respectives, qui « déshumanise » de plus en plus les juifs. Mosse recherche pied à pied la diffusion et l'emprise de la pensée völkisch dans l'enseignement, au sein des mouvements de jeunesse et des organisations comme les pangermanistes. Les frustrations nées de la défaite de 1918 renforcent les courants völkisch dans l'Allemagne de Weimar, d'emblée handicapée par cet « endoctrinement complet de pans importants de la bourgeoisie ». Bien que tous les tenants de la pensée völkisch ne suivent pas doctrinairement les nazis, Hitler réussit à canaliser les aspirations variées d’« une révolution allemande » vers une « révolution antijuive ». Ce fut la voie propre et la caractéristique essentielle du fascisme allemand.

            La thèse de Mosse n’est peut-être plus à jour, au regard de l’historiographie contemporaine du nazisme , même augmentée d'une préface de 1997, tant celle-ci s'est enrichie et renouvelée : les études sur la « révolution conservatrice », les travaux sur les années de formation d'Hitler,  ou encore les débats sur les caractéristiques de l'antisémitisme allemand. L'ampleur des matériaux et la force de la démonstration donnent l’occasion d’enrichir une question si cruciale, remise sur le métier chaque fois que nécessaire.


Olivier Pascault
Le 27 novembre 2010.


  • George L. Mosse, Les racines intellectuelles du troisième Reich. La crise de l'idéologie allemande, Ed. Calmann-Lévy / Mémorial de la Shoah, Paris, 2006, 416 p. (22,90 €) - traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire Darmon.
[titre original : The Crisis of German Ideology, 1964]




Citation & Article 5 / Maupassant si actuel (Côte d'Ivoire et ailleurs), par O. Pascault

« La terre d'Afrique est en effet une cheminée pour la France, messieurs, une cheminée qui brûle notre meilleur bois, une cheminée à grand tirage qu'on allume avec le papier de la Banque. »


            Dans Bel-Ami (1885, second roman achevé en février), Maupassant place le discours d'un député de droite du Parlement, le comte de Lambert-Sarrazin, à l'occasion d'un énième changement de présidence du Conseil. Ici la fiction est le reflet du quanta des affres de la République.

            Qu’il nous soit innocemment permis de souligner cet extrait en guise d’invocation des fourvoiements coloniaux de la France en Afrique. Dont celui, pour notre heure calée sur la fin de l’année 2010, où la Côte d’Ivoire et notre sempiternel irrespect de la souveraineté des peuples nous enjoignent à sortir des gonds de la diplomatie mesurée. Souveraineté tierce, qu’elle soit en interne juste, légitime… ou exactement l’inverse. Le jugement de non-intervention extérieure n’a pas de prix. Quoique ?

            Par cet extrait de discours et ses évocations de la politique ambiante, Maupassant transpose l'affaire dite de la dette tunisienne qu'il situe, lui, au Maroc pour égarer ses lecteurs non dupes. Il a suivi toute l'affaire pour le journal Gil Blas. C’est d’ailleurs là qu’il fait paraître Bel-Ami en feuilleton du 6 avril au 30 mai 1885 (avant qu’il ne soit disponible en volume chez Havard, à la fin du mois de mai). Résumons les faits.

            En 1879, les obligations dites de « la Dette Unifiée » sont en baisse. Ces obligations remplaçaient les anciens titres de l’emprunt destiné à couvrir la dette fort conséquente que la Tunisie avait contractée envers la France. Ainsi, des 500 francs que représentaient les cours d’émission, l’emprunt tombe à quelque 200 francs (en fait entre 203 et 240 francs). Il semble, en effet, que le gouvernement français se désintéresse de la Tunisie, sur les affaires de laquelle la mainmise de l’Italie est de plus en plus évidente. Après moult tergiversations qui permettent à un journal comme La République française de faire pression sur les épargnants afin qu’ils cèdent leurs titres au plus bas prix, Jules Ferry, prenant prétexte d’exactions commises par les Kroumirs sur la frontière algérienne, ordonne l’invasion du territoire tunisien. En juin 1883, c’est le traité du Bardo. Le protectorat s’organise. La France garantit désormais la dette tunisienne. Les obligations qui, entre-temps, ont changé de mains, remontent d’un seul coup au-dessus du pair. Le protectorat entraîne-t-il quelque profit immédiat ?

            Spéculations et politique étrangère de la France ont toujours été au mieux, soient hasardeuses, soient inspirées, au gré d’un contretemps des droits déclamés pour « un extérieur » sur lequel la France n’a aucune prise réelle.

            La diplomatie exige tactique, stratégie et études. Une marche du monde efficace ignore les calculs à court terme. La France ne posséderait-elle plus les moyens de sa puissance épuisée ? Car la puissance se déniche d’abord dans les études prospectives et historiques mêlées, et en rendant grâce à la recherche en général. En second lieu, seul un personnel patriote et soucieux de l’intérêt général gagne en singularité dans le registre la politique internationale, sous domination des rapports de ce fameux quatrième repartage du monde que de nombreux bretteurs feignent d’ignorer.

Olivier Pascault,
Le 20 décembre 2010.

jeudi 16 décembre 2010

Article 4 / Maupassant pistolier, par Olivier Pascault


Maupassant pistolier

par Olivier Pascault


            Guy de Maupassant (1850-1893) fait paraître en mai 1882 son recueil Mademoiselle Fifi chez l'éditeur belge Kistemaeckers. Maupassant se trouve alors à Menton et à Saint-Raphaël, où il pratique la voile. En juillet, il voyage en Bretagne et est rayé des fonctionnaires cadres du Ministère de l'Instruction publique. Le 15 décembre, Maupassant publie enfin, en guise de dernière chronique de l’année, sa préface à l’ouvrage Les Tireurs au pistolet de son ami le baron de Vaux, paru chez Marpon & Flammarion.

Edouard Manet - Le bar des Folies-Bergères, catins & députés...
            1882 est une année faste. Maupassant, dans son art, reflète fort bien l’exposition par Edouard Manet de son superbe Le Bar des Folies-Bergère. Cette peinture exprime à souhait ce haut lieu de brassage de toutes les classes sociales, offrant tableaux artistiques, zincs où se rencontrent affairistes, journalistes, petits employés, catins, députés, cabots et bas-bleu enivrés de tous les espoirs que nous retrouverons en 1885 dans son second roman Bel-Ami. 1882 est une année moins connue à tort pour le krach financier de l’Union générale. A l’initiative de Bontoux, et pour tenter de tailler en pièce la banque Rothschild qui était juive, protestante et républicaine, se créée en juin 1878 une banque catholique, conservatrice et royaliste. Très vite, on s’arrache les actions de cette Union générale. Les cours grimpent. Ils atteignent des hauteurs vertigineuses, jusqu’à la manœuvre d’une opération boursière intelligente menée par Rothschild qui, dans la coulisse, jouit des faveurs de tous les pouvoirs politiques de tout bord. Bontoux échoue. Sa banque s’effondre lamentablement, laissant sur le carreau des milliers de porteurs, petits et gros, qui perdent à ce jeu dangereux du calcul financier [note].

            Depuis ses vingt ans, Maupassant pratique assidûment l’escrime, le canotage sur la Seine et le tir au pistolet qu’il mène en loisir en passionné prosaïque dans la plupart de ses nouvelles parisiennes. Force de la nature, Maupassant est connu pour ses besoins de dépenses physiques aux côtés de l’écriture et des femmes. Pour lui, le tir est une activité hygiénique et physique pour conduire ses écritures et pénétration des peuples qu'il dépeints. Elle lui glisse un principe : la persévérance en concomitance à la concentration. Elle lui donne une posture sereine dans son activité de journaliste, sujette à toutes les éventualités d’un duel avec un époux cocufié, un député déshonoré, un gadin abîmé de vaines querelles éperdues. Ce n’est donc pas un hasard s’il participe bruyamment à un ouvrage sur les pistoliers. Car, en 1882, obtenir une préface de Maupassant mène à un succès de librairie dépassant le seul succès d’estime qu’eut pu obtenir le baron de Vaux.


Le pistolet, art de bravoure. Détrône le fleuret précocément.

            On ne sait pas grand-chose de ce baron de Vaux. Est-ce le pseudonyme journalistique de Vauquelin, chroniqueur sportif et mondain du journal le Gil Blas fondé en 1879 dans lequel travaillât Guy, et qui a servi de modèle pour le personnage de Bel-Ami ? Il est également connu pour avoir écrit des ouvrages équestres et sur le duel sous le nom de Arthur Charles Devaux ou encore de Charles Maurice Devaux. Est-ce Arthur Devaux dont les dates sont 1845-1915 ou cet autre homonyme dont les dates mentionnent 1843-1918 ? Rien de précis n’existe.

            Quoi qu’il en soit, Maupassant rédige ce qui suit, dans sa préface à de Vaux :
Epoque honnête : duel Déroulède - Clémenceau
« Le pistolet est et restera un sport d’élite, aimé seulement de quelques-uns. Il ne fait pas maigrir, il ne fait pas applaudir ceux qui le pratiquent, comme sont acclamés les tireurs de fleuret en des salles pleines d’amateurs ; et il présente, en cas de duel, des dangers qui font souvent reculer des hommes d’une bravoure incontestée, prêts à se battre à l’épée pour un oui ou pour un non ».

            Hélas ! cet ouvrage ne se trouve que dans de bonnes librairies destinées aux bibliophiles dispendieux en bon acte. Peu de bibliothèque dispose de ce livre dans ses rayons. De nos jours, un tel livre se négocie entre 120 et 250 euros, selon l’état, sur le marché rare de la bibliophilie. Dommage ! Maupassant, pour sa préface, et de Vaux, nous livrent un engouement sans pareille pour le tir et les pistoliers, affinant mon approche personnelle sensitive sur le tir. Tir qui fut et reste l’acte primordial de nombre de créateurs de la plume, cette autre arme à balle d’encre. Maupassant, Cendrars, Kerouac, Burroughs (il a accidentellement tué son épouse un après-midi de beuverie jouant à Guillaume Tell), Manchette, A. D. G. (inscrit tenace dans un stand parisien jusqu’à sa mort) et plus récemment Jaccard bien vivant encore celui-là, pour ne citer que ceux-là.



Olivier Pascault
Le 16 décembre 2010.



·        Les Tireurs au pistolet, par le Baron de Vaux, Ed. Marpon & Flammarion,
     1883, avec une préface de Guy de Maupassant.



[note] De nos jours, alors qu’une crise boursière eut lieu dès 2008, il est de bon ton d’évoquer le krach de 1929 qui, avec d’autres causes corrélées, a conduit à la montée des fascismes en Europe et Asie, par les crises économiques et industrielles qui s’en sont ensuivis. A cours de connaissance historique, les publicistes contemporains gagneraient à se saisir des œuvres de Balzac qui tracent des lignes spéculatives toujours d’actualité.

Les contemporains - 6 / Philippe Roth, par Olivier Pascault

Philippe Roth - le sexe, le corps et encore le moi reductible en assouvissement

par Olivier Pascault



            Philip Roth déclarait un jour dans un entretien : « Le véritable écrivain n’est pas celui qui raconte des histoires, mais celui qui se raconte dans l’histoire. La sienne et celle du monde dans lequel il vit ». Avec son roman infernal La bête qui meurt, Roth nous entretient du thème de la révolution sexuelle dans l’Amérique des années ‘60. Voyons.

« Sauver les jeunes du sexe, telle est l’éternelle histoire de l’Amérique » - Ph. Roth

            Naguère, sexe et sexualité réjouissante ne se concevaient pas ailleurs que dans le cadre des liens conjugaux. A des fins procréatives, comme de bien entendu.... La sexualité relevait de l’objet tabou de discussion dans les rapports entre parents et enfants. Les jeunes filles étaient censées arrivées vierges au mariage. L’éducation sexuelle des garçons, la seule qui soit recevable sur le plan de la morale tout autant que tue dans les conversations, était confiée aux bons soins des prostituées. Ainsi, le puritanisme américain participe du même schéma de pensée que l’islamisme radical polluant aujourd’hui nos banlieues et débats publics. Puis vint le temps de l’automobile reine et du rock, la pilule et la drogue… le tout devant s’analyser au même plan, signe de tous les changements radicaux. Au même titre que le mouvement des droits civiques, la révolution sexuelle conteste les valeurs d’une Amérique profonde. Elles s'arc-boutent toutes deux sur une saine logique de désobéissance et de défiance envers l’autorité. Si le mouvement des droits civiques s’analyse au travers d’une visée généreuse d’intégration des déshérités, la révolution sexuelle participe d’une logique nihiliste du foutoir intégral pour le plus grand plaisir de ceux qui en ont été les acteurs. Il en reste deux conquêtes essentielles : le droit des femmes à la libre disposition de leur corps et la prise de conscience du rapport du sexe au seul plaisir. Or, nous vivons dans un monde à qui profite ces acquis. Là encore, les classes sociales en luttes permanentes, sont plus ou moins perdantes ou gagnantes dans ce combat du fuck in. Sommes-nous plus heureux, voire plus équilibrés dans nos rapports aux autres ? Pas sûr. La piste de réflexion, privilégiée par l’auteur, porte plutôt sur une évolution, chez ses contemporains, des formes de névrose.

            Avec La bête qui meurt, Roth se met en scène en recourant à l’un de ses doubles : David Kepesh, universitaire épris de culture, épicurien aimant les femmes. Libertin, Kepesh considère le sexe comme une dimension centrale de sa vie. Le sexe et non l’amour. Dès lors que se pose un problème dans toute relation d’homme à femme. Pour lui, l’attachement pose problème. Le sexe se suffit à lui-même. Trop souvent, les sentiments viennent troubler ce qui ne devrait se résumer qu’à un acte de jouissance pure. Libertaire ou anticonformiste, Kepesh l’est puisqu’il se refuse de se plier devant la morale défendue par les puritains et les bigots américains. Après y avoir goutté, le personnage principal a choisi de rompre d’avec le modèle du couple marié avec enfants et tout ce qu’il implique de renoncements. Individualiste forcené, notre homme l’est sûrement puisqu’il n’entend plus répondre qu’aux aspirations de son moi profond sans souci du « qu’en dira-t-on ». Conscient du caractère dérisoire de ce que nous entreprenons à l’échelle d’une vie somme toute éphémère, le professeur Kepesh s’entend à ne plus vouloir vivre que des aventures d’un soir. « On ne fait jamais autre chose que goûter. C’est tout ce qui nous est donné dans la vie, c’est d’ailleurs tout ce qui nous est donné de la vie. Une bouchée. Sans plus ».

Le fils ou l’opposition ultime au jouir

            De son premier mariage, Kepesh a eu un fils. Ce petit d’homme s’est forgé une personnalité en opposition radicale avec celle de son père. Il est désireux d’assumer ses responsabilités personnelles. Lorsque sa petite amie est enceinte, il s’est senti obligé de l’épouser sans être assuré de l’aimer. L’usure du couple aidant, il a fini par prendre maîtresse au hasard objectif d’une rencontre. Au regard de sa femme et de ses enfants, il se sent malheureux n’assumant qu’imparfaitement sens et conséquences de ses actes. De sa maîtresse, il loue les qualités intellectuelles et a tenu à se faire présenter toute sa famille. Au cœur de ces batifolages, il n’est question, chez ce fils, que de respectabilité. « Certains hommes pour baiser, il leur faut une dominatrice qui fasse claquer son fouet au-dessus d’eux. Ou, il leur faut une fille déguisée en soubrette. Il y en a qui baise que les naines, d’autres que les délinquantes, d’autres encore que les poulets. Mon fils, lui, il baise la respectabilité morale », constate le père. Le fiston fait partie de ces hommes qui font de leur maîtresse une seconde épouse, choisissent de troquer une prison contre une autre pour finir par se rendre compte qu’ils ne sont pas plus avancés dans leur vie, parce que rien de fondamental ne saurait changer dans les rapports hommes-femmes.

            Au fils, le père choisit d’asséner cette maxime : « Quand tu vis dans un pays comme le nôtre, où tous les textes fondamentaux parlent d’émancipation et visent à garantir les libertés individuelles, quand tu vis dans un système de liberté où la conduite de chacun importe peu tant qu’elle reste dans les limites de la légalité, les malheurs que tu rencontres, c’est toi qui les attires le plus souvent. Si tu vivais sous la botte nazie, la férule communiste ou dans la Chine de Mao, ça serait une autre histoire. Là, ton malheur, on te le fabrique en série ; même pas la peine de faire un faux pas pour ne plus jamais avoir envie de te lever le matin ». Pour que ce père exprime qu’il a une personnalité plus affirmée que celle du son fils, il faudrait qu’il se révèle capable d’agir en tous points en conformité avec son éthique de vie. Tel n’est pas le cas. Pour Kepesh, les rapports de sexe sont des rapports de domination. Il sait que la position du dominant dérive d’un rapport de force lui-même en constante évolution. Dans le désir de ses étudiantes, Kepesh lit un besoin d’affirmation de soi via la capacité qu’elles ont à monopoliser l’attention de quelqu’un d’important : lui, le professeur inaccessible et l’intellectuel reconnu. L’expérience finira par tourner à son désavantage lorsque, Casanova moderne, oublieux de la distance nécessaire à ce genre d’exercice, se convainc de son attachement pour l’une de ses dulcinées. L’homme d’expérience plus âgé devient risible dès lors qu’il s’amourache désespérément d’une étudiante de 24 ans. « Qu’est-ce que j’entends par ridicule ? Qu’est-ce que le ridicule ? C’est d’aliéner sa  liberté de propos délibéré- La voilà la définition du ridicule ». Le professeur sombre dans le ridicule aux yeux de qui l’entourent, de par son comportement.

            Avec ce roman, Roth choisit de nous parler de « nous ». Il écrit avec talent et intelligence. Si le personnage du fils est amené à devoir répéter inlassablement les mêmes erreurs, l’histoire du père relève, quant à elle, de considérations inscrites au cœur même de la nature humaine. Combien sot est celui qui croyait pouvoir y échapper ! Dans la dernière partie du livre, l’auteur fait dévier son propos initial en évoquant le thème de la mort : celle, réelle, de l’ami proche et celle possible de l’être cher. Au pied de la mort, tout ce désordre amoureux apparaît pour ce qu’il est : une vaine gesticulation. Le titre La bête qui meurt peut se décrypter selon trois registres possibilités : d’abord, la décrépitude physique de l’idéal féminin au regard des ravages causés par la maladie ; la fin de la toute puissance du Don Juan dès lors qu’il s’est pris à son propre piège ; enfin, le sentiment de compassion et d’humanité si tardivement ressenti par le personnage principal, réagissant ainsi à la souffrance de l’autre. Cet autre moi de travers.

Olivier Pascault

Le 2 décembre 2010.


  • Philip Roth, La bête qui meurt, Ed. Gallimard, Paris, 2004, 137 pages, 14,50 euros.



Les contemporains - 5 / Jean-Philippe de Tonnac

Jean-Philippe de Tonnac : de René Daumal au roman



            Quel diable d’homme ce Jean-Philippe de Tonnac… Non seulement il est l’auteur d’une biographie unique, exemplaire, consacrée à notre cher René Daumal que nous recommandons à nos lecteurs pour comprendre tout le suc de notre enquête « Quelle est l’expérience fondamentale ou fondatrice que vous vous jugeriez à l’origine de votre écriture ? » (René Daumal, l’archange, Ed. Grasset, 1998), mais il devient en plus l’auteur d’un premier roman drolatique : Père des brouillards, prix du cœur et du rire.





JP de Tonnac & O. Pascault, Colloque R. Daumal, avril 2008.

            D’abord, intéressons nous à sa biographie de René Daumal, sans laquelle nous ne comprendrions pas qui est Jean-Philippe de Tonnac dans son travail de romancier.

            René Daumal (1908-1944) fut l'un des précurseurs et initiateurs du Grand Jeu avec Roger-Gilbert Lecomte et Roger Vailland, ses condisciples au lycée de Reims, puis André Rolland de Renéville et Pierre Minet. Cette première et unique biographie, fondée sur des sources inédites que Jean-Philippe de Tonnac a scrupuleusement analysées, retrouve le dispersement dans l’unité d’un homme qui se sculpta durant toute sa courte existence au travers des expériences limites, faisant de lui le métaphysicien expérimental par excellence, tant dans la littérature que dans sa vie personnelle : ascèse intérieure, corps à cri du corps avec la langue, usage des connaissances par les gouffres des drogues, apprentissage du sanscrit dès l’âge de 17 ans, travail de la métaphysique indienne, compagnonnage avec le très contesté Gurdjieff. Ses principaux livres sont : Le Mont Analogue (publication posthume, 1952), La Grande Beuverie (1938), qui narre de manière à peine voilée l’aventure du Grand Jeu, tous deux disponibles en collection « L’Imaginaire », chez Gallimard. Il furent rédigés durant la dernière décennie de son existence et jalonnèrent l'approfondissement de sa recherche spirituelle, malgré la tuberculose et une situation matérielle difficile. Chez Gallimard, encore plus importants, que dis-je, essentiels ! nous trouvons les essais L’Evidence absurde (essais et notes I, 1926-1934, édités en 1972) et Les pouvoirs de la parole (essais et notes II, 1935-1943, édités en 1972), ou encore les poèmes de Poésie noire, poésie blanche (1924-1944, édités en 1954), puis l’aboutissement d’une courte vie de recherche, Le Contre-ciel (suivi de Les Dernières paroles du poètes, éd. définitive en 1990). Notons que Le Contre-ciel est un recueil de tous ses poèmes, que lui même contestait, sauf un poème : « La Guerre Sainte » et CE texte figure l’aboutissement de la métaphysique expérimentale de Daumal. Le Mont Analogue est la synthèse d’une vie ardente et haletante où un jeune homme flamboie tel le double de Rimbaud, à tant dévorer sa vie à la comprendre. Là se renferme la métaphore de l’initiation à la réalité.

            La fugitivité (premier numéro le 18 juin 1928, jusqu’à 1932) du Grand Jeu, sa force rimbaldienne et le mythe grave qu’elle laisse dans l'histoire littéraire a fait de l’un de ses principaux acteurs, René Daumal, un homme détaché et remarqué parmi eux. Le plus évident point de concentration, par sa littérature, ses expériences limites, l’évidence absurde et une sagesse conquise et engagée corps avec âme, malgré sa mort de jeune homme de 36 ans. Jean-Philippe de Tonnac, avec son talent et sa méthode rigoureuse de chercheur, signe une analyse fraternelle de celui qui fit une expérience déterminante de «mort approchée» par inhalation de tétrachlorure de carbone, ce qui lui permit une libération compensatoire «des formes logiques de penser» : il perçut LE monde et renonça au «refoulé de l'Occident». Dès lors, il entreprit l'apprentissage solitaire de l'hindouisme, de l’islam et se fit le quêteur absolu d'une vérité qu'il trouva, dès 1931, dans l'enseignement de Gurdjieff, par la médiation d’Alexandre de Salzmann. Pour lui, la rencontre est encore une expérience ; ainsi, avec celle du danseur indien Uday Shankar, la même année, acheva la métamorphose. A 24 ans, il se dépouilla de tout : « Paris était trop plein de mes sécrétions, de mes vieux vêtements; des échecs de mes délires ». Tous ceux qui l’admirèrent furent surpris de cet éloignement du monde, l’ayant perçu comme un futur éminent passeur de la Tradition. Mais René Daumal s'éveilla autre. Il fut le traducteur de plusieurs des grands textes sacrés de l'Inde, et fit paraître des articles remarqués dans La NRF de son si proche ami Jean Paulhan, ainsi que dans les Cahiers du Sud.

La biographie de Jean-Philippe de Tonnac est ni plus ni moins une exquise et très renseignée peinture intellectuelle et artistique de la littérature française des années 1920 / 1940, démonstratrice et méthodique, argumentée sur une documentation inédite, parfois exploitée de première main. Notre biographe est inspiré, en construction de lui-même par l’engagement pour Daumal. En cela, il n’a pu réaliser qu’une étude exemplaire indispensable pour le lecteur de Place aux Sens sensibilisé à Daumal par la présente troisième livraison de l’enquête qu’il suggéra à Paulhan et que nous avons revitalisée. Jean-Philippe de Tonnac y côtoie la grâce et prône ainsi une lecture attentive de sa correspondance pour le désenvaser de la pensée de Gurdjieff. Sa thèse s'ajuste autour d'un simple prénom : Daumal l’archange serait réellement « re-né », mis au monde une seconde et ultime fois, rendu à lui-même par son appréhension de la métaphysique orientale, avant que sa maladie ne prenne une tournure qui le tue tout à fait, le 21 mai 1944.


            Jean-Philippe de Tonnac est un sourire, une écriture, un travailleur de soi et de cette expérience indéniable qu’est l’évidence absurde. Père des brouillards, en un clin d’œil, efface le songe casanier de l’esprit de sérieux, en littérature. De la joie, de la joie. Il était temps ! Et « la joie est douleur », écrivait Daumal. Nonobstant, « Comme la littérature est grave ! », s’exclamait Jean Paulhan le jour des obsèques de Drieu la Rochelle. Dès lors, en désespérés actifs, à l’enseigne de Jean-Philippe de Tonnac, nous dépassionnons, amusés, cette hantise de glace sur le ciel de la fiction. Nous devenons avec lui des « agis ». En effet, c’est qu’Adèle nous enchante, et son enfant, le narrateur de Père des brouillards, est un fieffé garnement diseur de bonne fortune de couches : « …je suis bien mal placé pour vous faire la morale et parler de morale lorsqu’on prétend jeter l’orgasme fondateur de sa mère en pâture, c’est tout dire » (p. 21). C’est qu’Adèle, dans sa rue D’Aumal, IX° arrondissement de Paris, au pied de la Butte, veut saisir le jouir haletant, le jouir frémissant, le jouir absolu : le Grand Jouir. Pour enfanter, noble raison. Car, férue de traités taoïstes, elle a la certitude qu’il ne peut y avoir d’enfant heureux et de destin pour lui s’il n’est enfanté dans l’étreinte passionnée où le feu devient l’ami de l’extase des intimes parois, creuset des gémissements et fécondation. Au bord des passions, l’expérience de l’amant fougueux, le maître étalon espéré, Adèle mène sa géographie intrépide sur la Butte Montmartre, un chaud samedi matin de juillet. Et la géographie de l’itinéraire magique n’est point hasard conjoncturel d’unité de lieu, ni élaboration paysagère. Chez Jean-Philippe de Tonnac, il faut replacer Adèle dans le registre de la connaissance de soi, où la géographie a intimement à voir avec la philosophie : « La philosophie a la valeur d’une carte de géographie : préparation ou résumé du voyage réel », nous confie Daumal. Et la Butte des peintres, poéteux, écrivains, demis mondains à la marge du spectacle, est l’endroit idéal pour dénicher le membre réel pour la génération heureuse. C’est sur la Butte qu’elle trouvera le certifié des chambres à coucher, le margoulin de l’orgasme. Car l’enfant de l’amour ne se concevra qu’avec un héros de l’amour, un expert de la rétention en bataille de jambes en l’air, un diplômé du débusquement des moindres parcelles de frissons féminins pour égayer et préparer l’approche du sourire couché, ce que Breton dénommait le continent Noir. Elle ne supporterait pas l’idée du banal, du vite joui, de l’amant qui se contenterait de s’essuyer en elle, de l’enfant engendré sans amour, sans le feu de la jouissance, conçu seulement dans l’ennui. Adèle veut l’incendie, elle l’aura en belle compagnie à monter vers la Butte, ce chemin pur, « s’élever jusqu’à la rencontre. Voilà notre point de fuite, notre horizon » (p. 94). Mais ce chemin pur ne connaît d’entame que s’il est initié par une connaissance active de soi, à savoir se co-naître c’est co-naître l’univers, cette fameuse expérience métaphysique que parvient à nous montrer encore Daumal, « le chemin du dedans, je ne sais si vous me suivez, celui qui part du plus profond de soi… » (p. 88). L’enfant d’Adèle parle, s’adresse au lecteur qui déguste la recherche d’un père pour lui. Jean-Philippe de Tonnac ôte la voilette d’une question insolite : que faisait notre mère le jour où nous fûmes conçus ? Mais c’est aussi l’histoire d’une femme, une histoire de l’amusement cinglant sur les orfraies des livres compulsifs, peines à dire, les peines à esquisser un sourire de contentement à les lire. Point de peines dans ce Père des brouillards.


            Est-ce le « premier roman » de Jean-Philippe de Tonnac ? Assurément non ! Chez cet écrivain qui s’affirme en 174 pages, nous sommes persuadés que des manuscrits dorment en quelque antre ou soupirail du songe créateur. Cela nous avons pu le concevoir dès notre lecture de sa biographie Daumal, l’archange. Il aime vivre, donc il aime écrire. Jean-Philippe de Tonnac est un écrivain de la joie, il se donne tout entier, écrivain du don presque animal de soi pour être l’ami du lecteur qu’il interpelle, invective, ironise comme de lui-même, invite à poursuivre le livre ou à le refermer : « si le livre existe et si on en a lu déjà les cent premières pages, je ne crois pas qu’on puisse encore dire qu’on vous a forcé » (p. 163). Et si son Adèle était dans le vrai ? Et si nous étions prédestinés par le Grand Jouir maternel ? Père des brouillards nous suivra, on le relira pour dénouer ce fil débridé de nos existences inconcevables à l’instant où la rencontre s’épanouit, se pénètre. Jean-Philippe de Tonnac a signé là un premier roman qui scintille… Il est écrivain total, délivré de sa fin qui maîtrise en lui et littérairement l'alliance de la main à la branche d’acacias, union de la poésie facétieuse et du roman. Père des brouillards commence donc son acte en poien, « recréation du créé », c’est-à-dire qu’il est homme délivré de poésie (poien) et de l’entièreté du don de soi-même, au sens où l’entendait Daumal, « se donner soi-même tout entier dans chaque action, au lieu de faire semblant de consentir à être homme ». L’ivresse de Père des brouillards attend donc une suite. Car, Jean-Philippe de Tonnac a écrit un roman qui est métaphore, que dis-je !‑osons, c’est le vrai terme‑, une métaphysique de l’union mystique entre l’âme de l’adepte et celle du monde, le Spiritus Mundi. C’est donc le roman phare de la rencontre en acte des « agis », des épousailles entre ciel et terre, ce point de l’esprit que le Manifeste d’André breton illumine. Autant d’ivresse avec Père des brouillards… c’est la suite que nous attendons, la suite des délivrances de Jean-Philippe de Tonnac.


Olivier Pascault

[article paru dans le journal Place aux Sens, n°5, 2002.]


  • Jean-Philippe de Tonnac, Père des brouillards, Editions Fayard, 2002, 174 pages, 15 euros.

(N) Signalons aussi, s’il en était besoin, l’excellent dossier H consacré à R. Daumal, dirigé par Pascal Sigoda, aux Ed. L’Age d’homme, 1993.


Document 2 - autoportrait d'Alexandre Dumas

Autoportrait de Dumas en 1868, deux ans avant sa mort



Votre vertu favorite : la charité.
Vos qualités favorites chez l'homme : l'indulgence.
Vos qualités favorites chez la femme : l'amour.
Votre préoccupation favorite : le travail.
Le trait principal de votre caractère : l'insouciance.
Si vous n'étiez pas vous, qui voudriez-vous être ? Hugo.
Où préfériez-vous vivre ? Partout, pourvu que j'aie une femme, du papier, une plume et de l'encre.
Vos héros favoris dans la vie réelle (l'histoire) : Jésus-Christ, Jules César.
Vos héroïnes favorites : Madelaine, Jeanne d'Arc, Charlotte Corday.
L'objet de votre plus grande aversion : je ne hais rien, ni personne.
Quelle est votre situation d'esprit actuelle : l'attente de la mort.
Pour quelle faute avez-vous le plus d'indulgence : je les pardonne toutes, excepté la calomnie, le vol et le faux.
Quelle est votre devise favorite ? La Liberté. Dieu a donné, Dieu donnera.


Alexandre Dumas (1802-1870)


Cet autoportrait a été écrit sur le livre d'or de son amie, la poétesse Amélie Ernst, en 1868.




mercredi 8 décembre 2010

Citation 8 - Roland Jaccard

"Le désespoir s'accommode volontiers d'un humour macabre, car quiconque a sondé un tant soit peu l'absurdité du monde, cesse d'en médire pour en rire. Plus le pessimisme s'accroît, et plus le comique s'intensifie."

Roland Jaccard
(in Le Monde, le vendredi 12 mars 1993)