Les fonds de l’UIMM et du MEDEF : le dessous des cartes
Olivier Pascault
Olivier Pascault
[Ce court article a fait l’objet d’une parution le 31 mars 2008,
IN : Lettre n° 17 du Groupe République.]
Par-delà les divergences internes sur les fonds patronaux, les assauts d’amabilités par médias interposés entre dirigeants du MEDEF et de l’UIMM, ou les actions en cours de la Justice, se dissimule une véritable bataille qui oppose deux conceptions quant au déroulé suivi par le capitalisme français en résonance avec la situation de crise internationale. Sous la banquise, il existe toujours une épaisse croûte de glace sous les eaux. Elle doit être scrutée à l’aune des lignes historiques prises par le mouvement économique général, et non sous la conjecture de faits mal authentifiés.
Situation économique générale.
Au plan mondial, l’économie financière dompte l’économie productive en un capitalisme financier effréné. Depuis la crise de 1997, les banques ont eu massivement recours au crédit, abaissant le niveau des taux à un palier si bas qu’elles ne parviennent plus à rentabiliser leur trésorerie. Le danger pour le système bancaire s’épanouit, entraînant aux USA une crise détruisant l’industrie et affectant la consommation. Cette cause se répand sur tous les continents. Or, les liquidités sont pléthoriques, la régulation chimérique et les fonds anonymes persistent à créer des appels d’air qui, comme le relevait A. Bernheim (1), sèment le « règne de l’anarchie ». Préconisant des ratios susceptibles d’atténuer ces fonds qui « déstabilisent l’ensemble du système financier », ce ténor influent anticipe un « crash » fatal pour l’économie mondiale. L’accumulation d’argent et des profits a pris le relais de la création des richesses productives, ce que défend un courant patronal. Entreprises et fonds ne suscitent plus d’actionnariats stables au service de l’économie censée stimuler croissance et création d’emplois. Dans sa forme capitalistique, les profits ne sont plus réinvestis dans l’économie productive. Aussi, Bernheim alerte nos dirigeants politiques et patronaux français : « aucun système politique n’est viable si il n’y a pas une certaine répartition et redistribution des richesses équitables ». De la crise économique à la crise des orientations patronales, il n’y a qu’un pas. Il est franchi.
Vers une crise inédite en France°?
Dépouillant les entreprises et travailleurs français, la crise revêt des symptômes communs avec celle des années Vingt. Ce sont ces similitudes que nous interrogeons plutôt que les différences avec 1929. Car pour le patronat se joue un poker menteur où des lignes directrices sont prises au gré des orientations économiques.
A soixante-dix ans d’écart, il y a une reproduction de situations similaires. D’abord, au plan macroéconomique, la croissance se traduit par une spéculation forcenée entre investisseurs ayant eu le champ libre sur de mêmes domaines, en désertant de nombreux autres. Un trait commun porte sur l’émergence des avancées technologiques et la montée idoine des entreprises liées au secteur tertiaire. En 2000, l’économie aurait connu normalement une crise de type de celle de 1929 si les banques centrales n’avaient pas injectées des liquidités : tel est le ressort de la crise actuelle bouleversant les rapports internes au patronat éclaté entre partisans, ou d’une production matérielle, ou immatérielle. Enfin, la période de l’entre-deux guerre se caractérisait par deux épisodes : un décrochement des bourses nourrissant la chute des économies nationales, démolissant derechef des entreprises et hâtant des périls internationaux liés au dépérissement d’un cycle capitaliste pourvu d’exacerbations impérialistes rivales. La similitude avec « le nouvel ordre mondial » généré par la défaite du camp socialiste a nourri la crise de 2000 qui caractérisa la première rupture macrofinancière.
Effets pour les dirigeants patronaux.
En France, les responsables politiques entretiennent des désengagements que devraient régler les organisations représentatives du patronat et des salariés. Leurs conflits internes et relationnels sont inévitables. En effet, rien n’est réglé de la contradiction entre le règne de la marchandise et son hyperbolisation grevée à la monnaie face à l’intérêt commun des travailleurs. De plus, il fut érigé un interventionnisme politique soutenant surtout le patronat. Il a souterrainement modifié les enjeux industriels et clivages en son sein, tel le début d’un cycle de négociations sociales rythmées par les normes européennes. Assurément, le creusement entre bénéficiaires de l’économie et ses victimes, entreprises comprises, s’étend progressivement en un cycle dit « protecteur » de la donne sociale hiérarchisée aux contours mal définis : la norme européenne en matière de négociations sociales.
Loin de convenir à tous au MEDEF, l’anarchie des remèdes génère des vues antagonistes et une lutte à mort entre deux courants patronaux. Les tenants de la libéralisation de la forme contractuelle présentée comme une entrave au libre développement des entreprises, et attachés à briser les négociations collectives au sein des branches, désirent abolir les rapports sociaux dans l’entreprise avec les organisations syndicales de salariés et les élus du personnel. Pour eux, contrat et Droit du travail doivent imploser, plaidant pour un contrat gré à gré, strictement individualisé. Quant au second courant, il semble prendre acte de la réalité du rapport de force entre capital et travail, cultivant l’agrégat fédératif d’un patronat aux intérêts divers mais diablement enrichis par les profits enfantés.
Le MEDEF est une structure associative régie par la loi de 1901 et constitue ce premier courant. L’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), second courant, est régie par la loi de 1884. Comme pour les syndicats des salariés, la loi lui alloue l’avantage de l’indépendance de gestion de sa trésorerie, de ses mandats et un contrôle interne de ses membres non soumis à la connaissance de ses adhérents et de ses fonds en Préfecture. L’UIMM demeure arrogante du fait de sa position économique dominante. Symétriquement, les syndicats de salariés maintiennent leur nécessaire résistance parce qu’ils organisent une classe en situation d’exploitation. Sa condition s’aggravant, il lui est vital de maintenir une organisation collective qui la défende efficacement face à un patronat néanmoins uni face à elle et disposant de la plupart des arcanes du pouvoir.
Deux conceptions s’affrontent pour répondre à la crise et au redéploiement des intérêts des classes dirigeantes au sein de la présente situation capitaliste : le MEDEF veut faire venir l’UIMM sur le terrain de la libéralité à la fois structurelle et normative. La loi de 1884 est-elle incidemment menacée dans cette tension ? Autrement dit, dialogue social, négociation collective, compromis et accord contractuel entre parties, tous ces fondements historiques du paritarisme social résisteront-t-il après cette guerre MEDEF-UIMM ?
Olivier Pascault
Note
(1) Antoine Bernheim (Paris, 1924), ancien banquier d’affaires chez Lazard, est PDG de la compagnie d'assurance italienne Generali, basée à Trieste. Personnage secret, tutoyant la plupart des grands patrons et hommes politiques de premier plan de gauche (Fabius, Strauss-Kahn) et de droite (a soutenu N. Sarkozy), il est sorti de sa réserve habituelle « pour pointer les excès d’un capitalisme financier débridé », confiait-il sur France-Inter le 30 juin 2007 (Emission « Rue des Entrepreneurs »).
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