jeudi 25 novembre 2010

Article 2 / EUGENE STIGLITZ, L'économie chute, par Olivier Pascault


L’économie mondiale en chute libre

par Olivier Pascault


            Dans le champ éditorial très encombré des essais consacrés à la « crise » [Cf. Note] financière de 2007-2009, il n’est pas aisé de choisir un traité audacieux pour livrer les clefs d’une critique sérieuse.

            Le Prix Nobel 2001 d’économie Joseph Eugene Stiglitz et ancien responsable des conseillers économiques du Président Bill Clinton, violent critique acéré du Fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque mondiale, célèbre fondateur par ailleurs de l’école du « nouveau keynésianisme », s’est attelé à la tâche avec son dernier opus, Le triomphe de la cupidité.

            Méthodiquement, pour lui, il était nécessaire de ne pas se précipiter pour livrer une analyse de cet ouragan sur l’économie mondiale, caractérisé par une « crise » financière engendrant tous les désastres commentés : destruction massive d’emplois, chômage exponentiel, politiques d’austérité orchestrées dans les Etats, sous recommandations du FMI… C’est donc une réflexion générale sur le système financier mondial que propose Stiglitz. Analyse et critique détaillent autant la période d’avant la « crise » pour se pencher sur les mesures, réformes et contre-réformes prises après l’ébullition médiatique des marchés. Pour Stiglitz, les décisions qui ont été prises par les chefs d’Etat des puissances capitalistes n’obèrent pas les erreurs en cause. Au contraire. Aux effets d’annonce, elles n’enrayent guère le déséquilibre immanent entre des économies capitalistes hautement concurrentielles.

            Le titre original du livre évoquerait davantage la « chute libre » (freefall) d’un supersonique concentrant une planète déjà en feu avant le crash. Pour l’économiste keynésien, c’est moins la cupidité que les perversions inhérentes à un tel système financier ayant pris son autonomie par rapport aux autres acteurs économiques qui compte. Les subprimes fonctionnaient comme un aiguillon pervers du système du crédit immobilier américain. Plus la population pauvre rentrait couverte d’illusions de devenir propriétaire dans tout le système, plus l’esbroufe est devenue patente en rendant les banques propriétaires de biens immobiliers inabordables pour les travailleurs pauvres. En réalité, si esbroufe il y eut, elle résidait dans la propagande qui fit croire aux ménages modestes qu’ils pourraient s’offrir des moyens de financements sûrs quand il s’agissait de fait d’accroître les commissions et profits à court terme des banques américaine. Et peu importaient à celles-ci que les néo-propriétaires se retrouveraient sur la paille. Un fétu brûle… tout le système prend très vite feu. Exactement ce qui s’est déroulé sous nos yeux pour tout le système financier.

            Ce que Stiglitz met en avant, c’est la malignité d’organismes de contrôle monétaires qui ont laissé prospéré de tels calculs bancaires, avec une solide complicité des autorités publiques américaines.

            Las ! au nom de quel saint la FED (banque centrale américaine) gouvernée par Alan Greenspan et les administrations Bush-Obama se sont-elle vouées ?

            Innovation financière et déréglementations tous azimuts sont le saint bicéphale d’une catastrophe aux origines prévisibles. Pourtant, beaucoup ont ri des prévisions émises ici où la, dans la presse internationale, les revues scientifiques et militantes, aux livraisons restreintes ou élargies.

            Les analyses de la « crise » que Stiglitz produit sont connues et partagées dans le monde. Sa différence, ou plutôt l’intérêt de lire son essai, tient dans sa critique violente des politiques dites « anticrises » suivies par toutes les administrations fédérales américaines. Georg W. Bush a renouvelé les balbutiements du Président Hoover qui, en 1929, a refusé de relancer immédiatement l’économie. Quant à Barak Obama, il se caractérise par la faiblesse et la timidité de son plan de relance organiquement non stimulant pour l’économie américaine. Qui plus est, l’administration Obama est restée complaisante avec les milieux financiers ; au final, ils affirment sa puissance sur elle et la faillite intégrale du champ politique. Et Stiglitz remarque, non sans une pointe d’ironie, que l’Etat britannique a eu le « courage » d’acquérir la propriété du capital des banques en échange des fonds avancés pour les tirer du mauvais pas dans lesquelles elles commençaient de s’engouffrer. Le sauvetage du plan Obama accordait, lui, un renflouement des banques précisément dans le collimateur des indices de la « crise » sans aucune compensation pour les contribuables américains. En conséquence de quoi, les économistes le remarquent tous, quelque soit leur école ou tendance, il y a de quoi s’alarmer d’un message lancé à la finance avouant que l’Etat couvrira toujours les excès des banques. Sur ce, Stiglitz pointe en plus l’inanité générale de la réponse coordonnée au plan mondial, voire son échec absolu quant à l’objectif de relance des économies nationales et des réglementations étouffées dans l’œuf du système financier mondial. En keynésien affirmé, Stiglitz ne ponctue pas son essai sur les causes et échecs de l’après « crise ». Il laisse ouvertes des pistes pour la recherche à peaufiner. Commentant ce qu’il nomme « la réforme des sciences économiques » qu’il appelle de ses vœux, il stigmatise au surplus les débats entre économistes qui aboutissent en prise directe sur des décisions prises par les Etats et les organismes internationaux, tel le FMI. En particulier les postulats qui se veulent des acquis comme « l’efficience des marchés financiers » qui ont provoqué le krach. Et à l’instar de son maître, il ne manque pas de fournir, dans Le triomphe de la cupidité, des propositions provisoires qui pourraient servir une réforme de l’économie mondiale, centrée notamment sur la question monétaire : créer une monnaie de réserve internationale. John Maynard Keynes l’avait proposé à la suite de la crise de 1929. Où se trouve ici l’originalité d’un postulat autrement plus réformateur d’un pan politique mondial préétabli ?

            Quelle serait l’utilité de cette « véritable monnaie de réserve internationale » ? Partant du constat que la consommation chinoise s’accroît formidablement vite, cette mesure, couplée à la montée en puissance générale de la Chine, servirait de catalyseur pour résorber le déséquilibre international fauteur de troubles : les déficits américains commerciaux, budgétaires (et en besoins de financements) signent leur creusements avec les excédents chinois dans tous ces domaines.

            Sont-ce là les seules causes de la crise de la finance, et donc de l’ensemble du système économique mondial ? Sont-ce là les seules réponses que peuvent apporter les économistes et décideurs politiques ? Rien n’est certain. L’avant-guerre s’accommode de tous les pansements, quitte à gagner un peu de temps sur le pire… en attendant le crash.


Olivier Pascault
le 25 novembre 2010.



  • Joseph E. Stiglitz, Le Triomphe de la cupidité, Ed. Les liens qui libèrent, Paris, 2010, 473 p., 23 euros - traduit de l’anglais (américain) par Paul Chemla.

[titre original du livre  : Freefall : America, Free Markets, and the Sinking of the World Economy]


Note :
[N] Nous reviendrons prochainement sur cette épineuse problématique de « crise » financière et/ou économique à notre manière prismatique.
En effet, nous pensons, avec d’autres, que 2007-2009 ne marque pas le début d’une « crise » qui est consubstantielle au développement historique du capitalisme fait de crises successives et de contradictions inhérentes à sa base marchande, plus ou moins résolues provisoirement, plus ou moins factrices de tensions, de « crises » et de guerres quand il s’agit de résoudre tout aussi provisoirement un antagonisme fondamental matériel autant qu’idéel.
L’analyse des situations concrètes, à la fois historiques, idéologiques et économiques, conjuguées à un caractère imaginaire-historique de toute construction humaine, permet de saisir qu’une secousse, un krach, une crise (…), ou tout autre acceptation, signe la plupart du temps une ère d’avant-guerre.



2 commentaires:

  1. Un prochain article présentera deux données complémentaires, l'une partant de la déclaration du gouverneur de la Banque de France, l'autre d'économistes liés à l'armée allemande.
    La base marchande du système économique crible l'échange entre marchandises.
    Ce présent compte rendu du dernier essai de Stiglitz traduit n'a d'autre utilité que de recenser les conceptions de l'auteur du "Triomphe de la cupidité" et de relever les remèdes qu'il envisage pour le monde.
    Sa perspective keynésienne, nous l'avons mise en exergue, a été expérimenté à maintes reprises au plan national et international depuis Keynes et son "Traité sur la monnaie" (1930) puis sa "Théorie générale" (1936).
    "Réguler" le marché par des orientations monétaires est-il suffisant ? La ligne de "l'état-Providence" est-elle un cauthère qui correspondrait à notre présente période historique, faite de caractéristiques mouvantes et d'ores et déjà insérées dans le cours du marché ?
    Répondre à ces interrogations entraîne des travaux divers, une étude soutenue de plusieurs écoles de la pensée économique qui n'est certes pas possible pour un questionneur seul.
    Devant cette foison, un travail collectif est élémentairement nécessaire.

    L'Atelier du Serpent Vert, 26.XI.2010.

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  2. L'Atelier du Serpent Vert26 novembre 2010 à 17:15

    complément :
    JM Keynes, "Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie" (1936)

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