mercredi 25 janvier 2012

Article 12 / François Dufay : un éclaircissement pour la littérature de l'après-guerre

François Dufay, un précieux éclaireur de la littérature

Regrets. Regrets pour sa disparition précoce.


Olivier Pascault



Ils souffrent, l'après-guerre ne leur réussit guère. Juste avant, ils optèrent pour le mauvais côté politique, sous un zeste de subjectivité historiale. On les aura reconnu. Paul Morand est réfugié en Suisse. Jacques Chardonne, perturbé par ses six mois de prison à Cognac, bougonne dans sa maison de Seine-et-Oise. Tous deux s’impatientent dans une tourmente de bon aloi.

Les succès de ces fraudeurs plumitifs sont des souvenirs lointains. Figurer sur la liste noire du CNE (comité national de l’épuration) n'arrange pas leurs bonnes vies. Paul Morand, qui fut si à la mode, n'est plus publié que par de petits éditeurs helvétiques. Dure résignation pour l'ancien conseiller de Paul Laval qui fut nommé par la suite ambassadeur en Roumanie. Ces compères qui ne se fréquentaient guère, scellent désormais un pacte, une alliance de frères de sang pour parvenir à publier. Tous les jours, ils échangeront des relations épistolaires et tiendront parole. Jusqu'à la fin, ils échangeront leurs rancoeurs, leurs humeurs et impressions par la poste. Une célèbre correspondance paraîtra en 2000 toujours conservée à la bibliothèque de Lausanne. Chardonne remplit à la plume sergent-major des papiers à en-tête de palaces. Morand griffonne des bristols au stylo-bille. Leurs mots tiennent chaud. Ils sont différents, mais complémentaires. « J'aime dans Morand le contraire de ce que je suis », affirme Chardonne qui baptise son jumeau des lettres « l'unique écrivain du siècle ».

Au début des années 1950, un miracle se produit. De jeunes écrivains redécouvrent leurs aînés. Roger Nimier débarque à Frette au volant d'une voiture de sport. Jacques Laurent accueille les réprouvés dans sa revue La Parisienne. On y lira Hécate et ses chiens en trois livraisons successives. Blondin, Déon, Nourissier sont de la partie. De dîners au Crillon en rencontres avenue Charles-Floquet, on peaufine le pacte. Les deux générations s’entremêlent et se rendent des services mutuels. L'admiration n'est pas forcément à sens unique. Morand s'entiche de Nimier, le chérit comme s’il était un fils naturel de quelque encre non encore sèche parmi ses soubresauts fantasques de débouté prêt à escaler l’entame d’un nouveau visage éditorial. Ces figures n'ont guère été irréprochables sous l'Occupation ? Bernard Frank résume assez bien la situation : « Nous n'avons pas fusillé Chardonne à la Libération, nous n'allons pas le faire aujourd'hui. » Les Hussards ont déniché leurs parrains. Morand et Chardonne s'offrent une nouvelle jeunesse et se hissent sur le devant de la scène. Les cadets sont-ils de gauche ? Certes, non. Entre eux, il était courant de supprimer la particule de de Gaulle afin de le minorer. Pourtant, Morand et Chardonne n'ont jamais voté. Ils préfèrent signer la pétition en faveur de Jacques Laurent accusé d'offense au chef de l'Etat. On voit le temps passer, la vieillesse agir, Nimier se tuer sur l'autoroute, Morand se présenter à l'Académie. Chardonne meurt en mai 1968. Morand, faute de carburant, ne pourra pas se rendre aux obsèques.

Une phrase de Chardonne à son beau-fils André Bay nourrit le propos de François Dufay : « Et puis, tu sais, je n'ai rien compris. » Dufay nous éclaire. Pas tout le temps. Reste qu’il est bon de rappeler aux jeunes générations que Chardonne et Morand étaient antisémites, pro-allemands, que les Hussards penchaient du côté de l'OAS… Leurs plumes survivent. Elles méritent lectures et attraits. Ce sont des auteurs singuliers, farouches, calculateurs et agréables à lire -ou relire- car leur qualité intrinsèque implore une confluence incertaine avec ce qui se trame de nos jours. Rien n’est nouveau : les étranges rapports qui unissent les écrivains ne s'aliment pas seulement d'une recherche d'intérêts mutuels et concrets : cette fascination mâtinée de jalousie, cette soudaine générosité suivie de mesquineries. Nature humaine, quand tu nous saisis…


  • François DUFAY, Le soufre et le moisi - La droite littéraire après 1945. Chardonne, Morand et les Hussards, Paris, Ed. Perrin, 2006, 238 p..



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