jeudi 16 décembre 2010

Article 4 / Maupassant pistolier, par Olivier Pascault


Maupassant pistolier

par Olivier Pascault


            Guy de Maupassant (1850-1893) fait paraître en mai 1882 son recueil Mademoiselle Fifi chez l'éditeur belge Kistemaeckers. Maupassant se trouve alors à Menton et à Saint-Raphaël, où il pratique la voile. En juillet, il voyage en Bretagne et est rayé des fonctionnaires cadres du Ministère de l'Instruction publique. Le 15 décembre, Maupassant publie enfin, en guise de dernière chronique de l’année, sa préface à l’ouvrage Les Tireurs au pistolet de son ami le baron de Vaux, paru chez Marpon & Flammarion.

Edouard Manet - Le bar des Folies-Bergères, catins & députés...
            1882 est une année faste. Maupassant, dans son art, reflète fort bien l’exposition par Edouard Manet de son superbe Le Bar des Folies-Bergère. Cette peinture exprime à souhait ce haut lieu de brassage de toutes les classes sociales, offrant tableaux artistiques, zincs où se rencontrent affairistes, journalistes, petits employés, catins, députés, cabots et bas-bleu enivrés de tous les espoirs que nous retrouverons en 1885 dans son second roman Bel-Ami. 1882 est une année moins connue à tort pour le krach financier de l’Union générale. A l’initiative de Bontoux, et pour tenter de tailler en pièce la banque Rothschild qui était juive, protestante et républicaine, se créée en juin 1878 une banque catholique, conservatrice et royaliste. Très vite, on s’arrache les actions de cette Union générale. Les cours grimpent. Ils atteignent des hauteurs vertigineuses, jusqu’à la manœuvre d’une opération boursière intelligente menée par Rothschild qui, dans la coulisse, jouit des faveurs de tous les pouvoirs politiques de tout bord. Bontoux échoue. Sa banque s’effondre lamentablement, laissant sur le carreau des milliers de porteurs, petits et gros, qui perdent à ce jeu dangereux du calcul financier [note].

            Depuis ses vingt ans, Maupassant pratique assidûment l’escrime, le canotage sur la Seine et le tir au pistolet qu’il mène en loisir en passionné prosaïque dans la plupart de ses nouvelles parisiennes. Force de la nature, Maupassant est connu pour ses besoins de dépenses physiques aux côtés de l’écriture et des femmes. Pour lui, le tir est une activité hygiénique et physique pour conduire ses écritures et pénétration des peuples qu'il dépeints. Elle lui glisse un principe : la persévérance en concomitance à la concentration. Elle lui donne une posture sereine dans son activité de journaliste, sujette à toutes les éventualités d’un duel avec un époux cocufié, un député déshonoré, un gadin abîmé de vaines querelles éperdues. Ce n’est donc pas un hasard s’il participe bruyamment à un ouvrage sur les pistoliers. Car, en 1882, obtenir une préface de Maupassant mène à un succès de librairie dépassant le seul succès d’estime qu’eut pu obtenir le baron de Vaux.


Le pistolet, art de bravoure. Détrône le fleuret précocément.

            On ne sait pas grand-chose de ce baron de Vaux. Est-ce le pseudonyme journalistique de Vauquelin, chroniqueur sportif et mondain du journal le Gil Blas fondé en 1879 dans lequel travaillât Guy, et qui a servi de modèle pour le personnage de Bel-Ami ? Il est également connu pour avoir écrit des ouvrages équestres et sur le duel sous le nom de Arthur Charles Devaux ou encore de Charles Maurice Devaux. Est-ce Arthur Devaux dont les dates sont 1845-1915 ou cet autre homonyme dont les dates mentionnent 1843-1918 ? Rien de précis n’existe.

            Quoi qu’il en soit, Maupassant rédige ce qui suit, dans sa préface à de Vaux :
Epoque honnête : duel Déroulède - Clémenceau
« Le pistolet est et restera un sport d’élite, aimé seulement de quelques-uns. Il ne fait pas maigrir, il ne fait pas applaudir ceux qui le pratiquent, comme sont acclamés les tireurs de fleuret en des salles pleines d’amateurs ; et il présente, en cas de duel, des dangers qui font souvent reculer des hommes d’une bravoure incontestée, prêts à se battre à l’épée pour un oui ou pour un non ».

            Hélas ! cet ouvrage ne se trouve que dans de bonnes librairies destinées aux bibliophiles dispendieux en bon acte. Peu de bibliothèque dispose de ce livre dans ses rayons. De nos jours, un tel livre se négocie entre 120 et 250 euros, selon l’état, sur le marché rare de la bibliophilie. Dommage ! Maupassant, pour sa préface, et de Vaux, nous livrent un engouement sans pareille pour le tir et les pistoliers, affinant mon approche personnelle sensitive sur le tir. Tir qui fut et reste l’acte primordial de nombre de créateurs de la plume, cette autre arme à balle d’encre. Maupassant, Cendrars, Kerouac, Burroughs (il a accidentellement tué son épouse un après-midi de beuverie jouant à Guillaume Tell), Manchette, A. D. G. (inscrit tenace dans un stand parisien jusqu’à sa mort) et plus récemment Jaccard bien vivant encore celui-là, pour ne citer que ceux-là.



Olivier Pascault
Le 16 décembre 2010.



·        Les Tireurs au pistolet, par le Baron de Vaux, Ed. Marpon & Flammarion,
     1883, avec une préface de Guy de Maupassant.



[note] De nos jours, alors qu’une crise boursière eut lieu dès 2008, il est de bon ton d’évoquer le krach de 1929 qui, avec d’autres causes corrélées, a conduit à la montée des fascismes en Europe et Asie, par les crises économiques et industrielles qui s’en sont ensuivis. A cours de connaissance historique, les publicistes contemporains gagneraient à se saisir des œuvres de Balzac qui tracent des lignes spéculatives toujours d’actualité.

2 commentaires:

  1. Littérature et actualité, tir et romanciers,
    découverte plutôt agréable et insolite ces liens entre pistoliers et écrivains, et moi qui considérais ce sport comme malsain ! je change d'avis de suite...
    IdC

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  2. J'ai lu avec intérêt votre article. Vous ajoutez cependant que cet ouvrage se négocie entre 120 et 205 € selon l'état, ce qui est inexact. Nous possédons l'exemplaire n° 8 des 10 sur Chine, premier grand papier et l'exemplaire n° 11 des 40 sur Japon, numérotés de 11 à 50. Chacun d'eux vendu au prix de 460 € dans notre librairie. Vous pouvez consulter les fiches détaillées (n° de référence 3606 et 3709) sur nos sites : slam-livre.fr – livre-rare-book.com - librairie-de-la-tour.com
    Du même Baron de Vaux nous possédons aussi "Les hommes d'épée", à 300 €, notre n° 3609.
    nous vous remercions de nous avoir donné la possibilité d'ajouter ces précisions.
    Louis de CONDÉ Librairie de la Tour, à Vichy, membre du SLAM & de la LILA.

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