jeudi 16 décembre 2010

Les contemporains - 6 / Philippe Roth, par Olivier Pascault

Philippe Roth - le sexe, le corps et encore le moi reductible en assouvissement

par Olivier Pascault



            Philip Roth déclarait un jour dans un entretien : « Le véritable écrivain n’est pas celui qui raconte des histoires, mais celui qui se raconte dans l’histoire. La sienne et celle du monde dans lequel il vit ». Avec son roman infernal La bête qui meurt, Roth nous entretient du thème de la révolution sexuelle dans l’Amérique des années ‘60. Voyons.

« Sauver les jeunes du sexe, telle est l’éternelle histoire de l’Amérique » - Ph. Roth

            Naguère, sexe et sexualité réjouissante ne se concevaient pas ailleurs que dans le cadre des liens conjugaux. A des fins procréatives, comme de bien entendu.... La sexualité relevait de l’objet tabou de discussion dans les rapports entre parents et enfants. Les jeunes filles étaient censées arrivées vierges au mariage. L’éducation sexuelle des garçons, la seule qui soit recevable sur le plan de la morale tout autant que tue dans les conversations, était confiée aux bons soins des prostituées. Ainsi, le puritanisme américain participe du même schéma de pensée que l’islamisme radical polluant aujourd’hui nos banlieues et débats publics. Puis vint le temps de l’automobile reine et du rock, la pilule et la drogue… le tout devant s’analyser au même plan, signe de tous les changements radicaux. Au même titre que le mouvement des droits civiques, la révolution sexuelle conteste les valeurs d’une Amérique profonde. Elles s'arc-boutent toutes deux sur une saine logique de désobéissance et de défiance envers l’autorité. Si le mouvement des droits civiques s’analyse au travers d’une visée généreuse d’intégration des déshérités, la révolution sexuelle participe d’une logique nihiliste du foutoir intégral pour le plus grand plaisir de ceux qui en ont été les acteurs. Il en reste deux conquêtes essentielles : le droit des femmes à la libre disposition de leur corps et la prise de conscience du rapport du sexe au seul plaisir. Or, nous vivons dans un monde à qui profite ces acquis. Là encore, les classes sociales en luttes permanentes, sont plus ou moins perdantes ou gagnantes dans ce combat du fuck in. Sommes-nous plus heureux, voire plus équilibrés dans nos rapports aux autres ? Pas sûr. La piste de réflexion, privilégiée par l’auteur, porte plutôt sur une évolution, chez ses contemporains, des formes de névrose.

            Avec La bête qui meurt, Roth se met en scène en recourant à l’un de ses doubles : David Kepesh, universitaire épris de culture, épicurien aimant les femmes. Libertin, Kepesh considère le sexe comme une dimension centrale de sa vie. Le sexe et non l’amour. Dès lors que se pose un problème dans toute relation d’homme à femme. Pour lui, l’attachement pose problème. Le sexe se suffit à lui-même. Trop souvent, les sentiments viennent troubler ce qui ne devrait se résumer qu’à un acte de jouissance pure. Libertaire ou anticonformiste, Kepesh l’est puisqu’il se refuse de se plier devant la morale défendue par les puritains et les bigots américains. Après y avoir goutté, le personnage principal a choisi de rompre d’avec le modèle du couple marié avec enfants et tout ce qu’il implique de renoncements. Individualiste forcené, notre homme l’est sûrement puisqu’il n’entend plus répondre qu’aux aspirations de son moi profond sans souci du « qu’en dira-t-on ». Conscient du caractère dérisoire de ce que nous entreprenons à l’échelle d’une vie somme toute éphémère, le professeur Kepesh s’entend à ne plus vouloir vivre que des aventures d’un soir. « On ne fait jamais autre chose que goûter. C’est tout ce qui nous est donné dans la vie, c’est d’ailleurs tout ce qui nous est donné de la vie. Une bouchée. Sans plus ».

Le fils ou l’opposition ultime au jouir

            De son premier mariage, Kepesh a eu un fils. Ce petit d’homme s’est forgé une personnalité en opposition radicale avec celle de son père. Il est désireux d’assumer ses responsabilités personnelles. Lorsque sa petite amie est enceinte, il s’est senti obligé de l’épouser sans être assuré de l’aimer. L’usure du couple aidant, il a fini par prendre maîtresse au hasard objectif d’une rencontre. Au regard de sa femme et de ses enfants, il se sent malheureux n’assumant qu’imparfaitement sens et conséquences de ses actes. De sa maîtresse, il loue les qualités intellectuelles et a tenu à se faire présenter toute sa famille. Au cœur de ces batifolages, il n’est question, chez ce fils, que de respectabilité. « Certains hommes pour baiser, il leur faut une dominatrice qui fasse claquer son fouet au-dessus d’eux. Ou, il leur faut une fille déguisée en soubrette. Il y en a qui baise que les naines, d’autres que les délinquantes, d’autres encore que les poulets. Mon fils, lui, il baise la respectabilité morale », constate le père. Le fiston fait partie de ces hommes qui font de leur maîtresse une seconde épouse, choisissent de troquer une prison contre une autre pour finir par se rendre compte qu’ils ne sont pas plus avancés dans leur vie, parce que rien de fondamental ne saurait changer dans les rapports hommes-femmes.

            Au fils, le père choisit d’asséner cette maxime : « Quand tu vis dans un pays comme le nôtre, où tous les textes fondamentaux parlent d’émancipation et visent à garantir les libertés individuelles, quand tu vis dans un système de liberté où la conduite de chacun importe peu tant qu’elle reste dans les limites de la légalité, les malheurs que tu rencontres, c’est toi qui les attires le plus souvent. Si tu vivais sous la botte nazie, la férule communiste ou dans la Chine de Mao, ça serait une autre histoire. Là, ton malheur, on te le fabrique en série ; même pas la peine de faire un faux pas pour ne plus jamais avoir envie de te lever le matin ». Pour que ce père exprime qu’il a une personnalité plus affirmée que celle du son fils, il faudrait qu’il se révèle capable d’agir en tous points en conformité avec son éthique de vie. Tel n’est pas le cas. Pour Kepesh, les rapports de sexe sont des rapports de domination. Il sait que la position du dominant dérive d’un rapport de force lui-même en constante évolution. Dans le désir de ses étudiantes, Kepesh lit un besoin d’affirmation de soi via la capacité qu’elles ont à monopoliser l’attention de quelqu’un d’important : lui, le professeur inaccessible et l’intellectuel reconnu. L’expérience finira par tourner à son désavantage lorsque, Casanova moderne, oublieux de la distance nécessaire à ce genre d’exercice, se convainc de son attachement pour l’une de ses dulcinées. L’homme d’expérience plus âgé devient risible dès lors qu’il s’amourache désespérément d’une étudiante de 24 ans. « Qu’est-ce que j’entends par ridicule ? Qu’est-ce que le ridicule ? C’est d’aliéner sa  liberté de propos délibéré- La voilà la définition du ridicule ». Le professeur sombre dans le ridicule aux yeux de qui l’entourent, de par son comportement.

            Avec ce roman, Roth choisit de nous parler de « nous ». Il écrit avec talent et intelligence. Si le personnage du fils est amené à devoir répéter inlassablement les mêmes erreurs, l’histoire du père relève, quant à elle, de considérations inscrites au cœur même de la nature humaine. Combien sot est celui qui croyait pouvoir y échapper ! Dans la dernière partie du livre, l’auteur fait dévier son propos initial en évoquant le thème de la mort : celle, réelle, de l’ami proche et celle possible de l’être cher. Au pied de la mort, tout ce désordre amoureux apparaît pour ce qu’il est : une vaine gesticulation. Le titre La bête qui meurt peut se décrypter selon trois registres possibilités : d’abord, la décrépitude physique de l’idéal féminin au regard des ravages causés par la maladie ; la fin de la toute puissance du Don Juan dès lors qu’il s’est pris à son propre piège ; enfin, le sentiment de compassion et d’humanité si tardivement ressenti par le personnage principal, réagissant ainsi à la souffrance de l’autre. Cet autre moi de travers.

Olivier Pascault

Le 2 décembre 2010.


  • Philip Roth, La bête qui meurt, Ed. Gallimard, Paris, 2004, 137 pages, 14,50 euros.



1 commentaire:

  1. De bons articles et livres donnant à réfléchir, des leçons de vie, que tu nous fais découvrir là et qu'on a bien envie de se procurer.
    Il

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