lundi 20 décembre 2010

Les contemporains - 7 / George MOSSE, par Olivier Pascault

Du troisième au quatrième Reich…

par Olivier Pascault


            Les éditeurs du volume de George Mosse (1918-1999) ont choisi d'inverser titre et sous-titre de la version originale. En français, le titre exprime fort bien le projet de l'historien américain : montrer comment tout un ensemble d'élaborations idéologiques a imprégné la société allemande depuis le XIXe siècle et préparé nombre de ralliements au nazisme. Lequel est parvenu à ramasser tout l'héritage antérieur en l'adaptant à ses objectifs politiques. C'est un terme ardu à traduire, et d'ailleurs non traduit explicitement, qui rassemble ces idées, celui de völkisch (de Volk, peuple). Il désigne un conglomérat hétérogène de penseurs, écrivains et militants qui exaltent la communauté allemande unie par une essence transcendante.

            Cette problématique est loin d'être académique pour George Mosse qui, fils d'un patron de presse juif de Berlin, put quitter le pays en 1933. Après avoir séjourné en Europe continentale, il poursuit sa carrière d'historien aux Etats-Unis. Toute son oeuvre, à partir des années 1960, est consacrée à comprendre la « révolution fasciste ». La méthodologie qui le guide s'affirme nettement dans The Crisis of German Ideology (1964, pour la première édition) : une histoire intellectuelle et culturelle qui ouvre des horizons et donne force aux discours et idéologies, scrutant la dimension religieuse irrémédiable du politique.

            Pour conduire sa démonstration, Mosse détaille une galerie de personnages plus ou moins inspirés, parfois délirants ou empreints de romantisme. Tous font l'apologie de l'enracinement, du passé allemand, du lien entre le peuple, le pays et un cosmos particulier. La plupart font montre d'un antisémitisme variable, selon leurs postures respectives, qui « déshumanise » de plus en plus les juifs. Mosse recherche pied à pied la diffusion et l'emprise de la pensée völkisch dans l'enseignement, au sein des mouvements de jeunesse et des organisations comme les pangermanistes. Les frustrations nées de la défaite de 1918 renforcent les courants völkisch dans l'Allemagne de Weimar, d'emblée handicapée par cet « endoctrinement complet de pans importants de la bourgeoisie ». Bien que tous les tenants de la pensée völkisch ne suivent pas doctrinairement les nazis, Hitler réussit à canaliser les aspirations variées d’« une révolution allemande » vers une « révolution antijuive ». Ce fut la voie propre et la caractéristique essentielle du fascisme allemand.

            La thèse de Mosse n’est peut-être plus à jour, au regard de l’historiographie contemporaine du nazisme , même augmentée d'une préface de 1997, tant celle-ci s'est enrichie et renouvelée : les études sur la « révolution conservatrice », les travaux sur les années de formation d'Hitler,  ou encore les débats sur les caractéristiques de l'antisémitisme allemand. L'ampleur des matériaux et la force de la démonstration donnent l’occasion d’enrichir une question si cruciale, remise sur le métier chaque fois que nécessaire.


Olivier Pascault
Le 27 novembre 2010.


  • George L. Mosse, Les racines intellectuelles du troisième Reich. La crise de l'idéologie allemande, Ed. Calmann-Lévy / Mémorial de la Shoah, Paris, 2006, 416 p. (22,90 €) - traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire Darmon.
[titre original : The Crisis of German Ideology, 1964]




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