lundi 20 décembre 2010

Citation & Article 5 / Maupassant si actuel (Côte d'Ivoire et ailleurs), par O. Pascault

« La terre d'Afrique est en effet une cheminée pour la France, messieurs, une cheminée qui brûle notre meilleur bois, une cheminée à grand tirage qu'on allume avec le papier de la Banque. »


            Dans Bel-Ami (1885, second roman achevé en février), Maupassant place le discours d'un député de droite du Parlement, le comte de Lambert-Sarrazin, à l'occasion d'un énième changement de présidence du Conseil. Ici la fiction est le reflet du quanta des affres de la République.

            Qu’il nous soit innocemment permis de souligner cet extrait en guise d’invocation des fourvoiements coloniaux de la France en Afrique. Dont celui, pour notre heure calée sur la fin de l’année 2010, où la Côte d’Ivoire et notre sempiternel irrespect de la souveraineté des peuples nous enjoignent à sortir des gonds de la diplomatie mesurée. Souveraineté tierce, qu’elle soit en interne juste, légitime… ou exactement l’inverse. Le jugement de non-intervention extérieure n’a pas de prix. Quoique ?

            Par cet extrait de discours et ses évocations de la politique ambiante, Maupassant transpose l'affaire dite de la dette tunisienne qu'il situe, lui, au Maroc pour égarer ses lecteurs non dupes. Il a suivi toute l'affaire pour le journal Gil Blas. C’est d’ailleurs là qu’il fait paraître Bel-Ami en feuilleton du 6 avril au 30 mai 1885 (avant qu’il ne soit disponible en volume chez Havard, à la fin du mois de mai). Résumons les faits.

            En 1879, les obligations dites de « la Dette Unifiée » sont en baisse. Ces obligations remplaçaient les anciens titres de l’emprunt destiné à couvrir la dette fort conséquente que la Tunisie avait contractée envers la France. Ainsi, des 500 francs que représentaient les cours d’émission, l’emprunt tombe à quelque 200 francs (en fait entre 203 et 240 francs). Il semble, en effet, que le gouvernement français se désintéresse de la Tunisie, sur les affaires de laquelle la mainmise de l’Italie est de plus en plus évidente. Après moult tergiversations qui permettent à un journal comme La République française de faire pression sur les épargnants afin qu’ils cèdent leurs titres au plus bas prix, Jules Ferry, prenant prétexte d’exactions commises par les Kroumirs sur la frontière algérienne, ordonne l’invasion du territoire tunisien. En juin 1883, c’est le traité du Bardo. Le protectorat s’organise. La France garantit désormais la dette tunisienne. Les obligations qui, entre-temps, ont changé de mains, remontent d’un seul coup au-dessus du pair. Le protectorat entraîne-t-il quelque profit immédiat ?

            Spéculations et politique étrangère de la France ont toujours été au mieux, soient hasardeuses, soient inspirées, au gré d’un contretemps des droits déclamés pour « un extérieur » sur lequel la France n’a aucune prise réelle.

            La diplomatie exige tactique, stratégie et études. Une marche du monde efficace ignore les calculs à court terme. La France ne posséderait-elle plus les moyens de sa puissance épuisée ? Car la puissance se déniche d’abord dans les études prospectives et historiques mêlées, et en rendant grâce à la recherche en général. En second lieu, seul un personnel patriote et soucieux de l’intérêt général gagne en singularité dans le registre la politique internationale, sous domination des rapports de ce fameux quatrième repartage du monde que de nombreux bretteurs feignent d’ignorer.

Olivier Pascault,
Le 20 décembre 2010.

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