mardi 16 novembre 2010

Itinéraire Christian Ganachaud (1/3), par Olivier Pascault


Christian Ganachaud, l’intuition du temps, la langue flamboyante des Justes et l’alambic de l’union

par Olivier Pascault




 « Dieu existe sans aucun scrupule ».

Sal Paradise et Dean Moriarty sont pour la première fois seuls ensemble dans la spacieuse Hudson, traversant l’Etat du Washigton et les forêts de Virginie. Dean, excité par la route, perd la raison de tant de croyance, de tant de lucidité : « Nous sommes passés par toutes les formes. Tu te souviens, Sal, quand je suis venu la première fois à New York et que je voulais que Chad King m’instruise sur Nietzsche (...). Tout est beau, Dieu existe, nous avons l’intuition du temps. Tout ce qui a été affirmé depuis les Grecs est faux. On ne rend compte de rien avec la géométrie et les systèmes géométriques de pensée. Tout est dans ça. » Jack Kerouac, avec son maître-livre Sur la route (Ed. Gallimard, 1960, respectivement p. 172 et p. 171), déploie les tonalités célestes du vagabondage à la recherche du it, à l’enseigne d’un souffle de Louis Armstrong dans son instrument, une couverture de ciel sur une couche de terre dans les alcools et les odeurs de grésil des ballasts des voies de chemin de fer. La fière manière du chemineau unit le sel de la sueur de marcher à sa quête incandescente : la liberté, le silence et la sainte intimité.

Christian Ganachaud se trouve être dans cette exacte posture sur la voie qui est sienne. Seul sur scène, à la genèse du crépuscule, il entame le chorus liminaire de sa plume en alto-saxo, déroulant ses idées sous le tempo de la batterie du monde. Lecteurs, nous devons tâcher de le suivre. Il se hausse, inlassable, jusqu’à son destin dans le souffle. Et là, stupéfaction, le it surgit, révélation au milieu du chorus (le monde). Lecteur, je suis saisi, secoué, abasourdi par la maturité d’écriture de Ganachaud. Il l’a ferré ce it, il le serre en lui et nous le tient en offrande. Il le pique une nouvelle fois, il l’excite. On le lit. On boit ses dialogues, on rit aux éclats. Chaque mot, chaque phrase devient une partition indocile : le temps se fige. Il s’amplifie.

Poète du répit et rimailleur des néants conscientisés, Ganachaud aplanit les stigmates de ses prophéties en des visions lunaires dans la plèbe et le petit peuple rédempteur. Le it s’épanouit. Il vibre et remplit le vide du monde, le vide de l’espace avec les substances de nos propres vies, de ses délires oniriques d’où jaillissent des confessions incongrues sublimées en un bel art. Tout cela en se jouant de la composition confortable d’une pensée conforme. Le souffle de Ganachaud, jamais grave mais haut, va et vient dans ses livres, explorant l’infinie de l’humaine condition de l’homme empreinte d’apparentes finitudes. Sa mélodie est la terre, la poussière et le sable. La rocaille, surtout. Il touche au sacré, à l’humanité enfouie dans les caractères de ses personnages. Car le it, ici, est l’indéfinissable mélopée de la jouissance de Dieu qui est et n’éprouve nul besoin de se révéler autrement que par une langue au souffle dévoilé des méprisés et exclus du monde social. Il n’a pas le scrupule d’exister, il est encore le Corpus Christi.


Vrai, tous les livres de Christian Ganachaud forment une oeuvre minérale. Une brutalité à l’égard des productions livresques périssables. Car les livres de Christian Ganachaud sont des événements. Tous s’enchâssent pour féconder l’oeuvre blanche et noire de notre présent, le pavé mosaïque de la poésie. L’absurdité exhibe son miel et évolue chez lui en tant que siège de toutes les libertés absolues. Dans une quête, que dis-je, dans des quêtes si proches de la limpidité de la roche claire décelée dans les veines souterraines de charbon. Tous les principes moraux sont déchirés, toutes les entraves de la discipline du Livre sont libérées. Ganachaud se vit. Le rire de l’absurdité en est le scellement.


Depuis La Chambre (Ed. du Rocher, Paris, 1997), premier roman du poète, Christian Ganachaud accomplit l’effort de l’amplification de sa posture dans le monde des lettres... il dépose ses pierres dans des histoires singulières. Tous ses livres tendent au brio de l’humour et la joie cocasse pour révéler la sédimentation d’une pensée en mouvement fort complexe, dévoilant au fur et à mesure sa trame. Ainsi, la chambre n’est qu’effleurée dans les premières pages du roman. Puis elle se devine : une chambre à gaz. Le narrateur harponne sa mort dans la communication suscitée par elle. Il sait que sa fin terrestre aborde l’arête du gouffre et décide dès lors de tisser sa relation avec Maliochka dans un long monologue d’une centaine de pages. Sublime monologue, par sa langue, par son ironie poétique pour s’achever en un sursaut frénétique de cliquetis : “ils ont fermé la porte. J’ai entendu le bruit des verrous”.


Christian Ganachaud est un écrivain du désert. Exilé dans la foule, paradoxe de l’universalité recouvrée comme tout principe actif en poésie, il est un anachorète (au vrai sens du terme) détourné de toute ordalie, s’inscrivant pleinement dans les maîtres précieux soutenus par Dominique de Roux en son temps (in Le Gravier des vies perdues, Ed. Le Temps qu’il fait, Cognac, 1985 ; 1ère éd. Lettera Amorosa, Belgique, 1974) :
« Il n’y pas de grande poésie sans exil
(...)
Les prophètes d’Israël debout parmi les scènes d’exil

Le développement de cet exil ne concerne pas seulement l’expérience de celui qui le vit, mais la marche d’un monde. »

Pour témoignage de cette prescience de l’exil, nous avons sa langue. Verbe poétique, c’est une langue morte, sans recherche du plaisir de plaire ou déplaire. Car Ganachaud suit son chemin d’écriture dans le sang des destins et du devenir de ses personnages incarnant l’humanité dans ses tares les plus viles. En cette disposition, la critique littéraire n’a pas tort de l'agréger continûment à Léon Bloy. En effet, comme Bloy, les existences ratées et vies misérables, les emportements de ses personnages ou leurs fureurs impuissantes sont autant d’illuminations sensibles. Au demeurant, alors que Bloy éprouve une immense compassion pour les laids, les pauvres, les oubliés, y puisant sa foi, Ganachaud, quant à lui, place dans les humiliés la genèse de sa recherche de la foi, leur allouant le salut des réprouvés devant l’humilité même d’un Dieu doué d’une infinie bonté tolérante. Il les aime ses personnages, parce qu’ils cherchent l’amour et en sont littéralement traversés, bien que le vocable soit châtié. C’est la force de Ganachaud, force brute transpercée par la flamme d’une langue mûrie dans les blés de la faiblesse humaine, ses tâtonnements et ses blessures d’âme. C’est aussi une langue vide et sans salive durant la méditation métaphysique qu’il explore. Une langue en quête d’absolu où le sacrifice de soi estampille le résidu lumineux du sacrifice des corps, d’une exégèse de l’homme / de Dieu dans les périples et désordres historiques du XXème siècle. En chercheur d’absolu, le sel est sa langue, drue et douce en alternance. Jamais baignée de sucre d’où s’éventerait l’exhalaison d’une recherche creuse, artificielle, voire doucereuse de sentimentalité inutile. Ganachaud nomme le chaos et la création mêlés, nous rappelant sans cesse en mémoire les chants X et XI de l’Odyssée lors de l’épisode de la descente aux enfers et de la consultation des morts d’Ulysse.


Tout provient de là : la mort, son espérance. La langue brûle... celle des anges. Pas celle de Ganachaud dont il réfute l’existence. Mais bien son impossibilité de ressusciter s’il n’avait choisi délibérément d’exister en épuisant la matière même de sa langue, son destin tangible, dans la noirceur caverneuse des mots gutturaux et des sens, deux éléments adjointés ne formant pas un troisième élément dès lors qu’il attise une relation plus essentielle entre eux. Comme la Trinité qui occupe Ganachaud dans son oeuvre. Néanmoins il ne jongle guère avec des concepts théologiques pour épier plutôt les choses, les corps et les êtres accomplissant leur destinée dans le lieu propre du jointoiement. Pour lui, en effet, le cadavre de la littérature métaphysique bouge encore, du moins il secoue mille feux annonçant la gerbe de son redéploiement. Le livre paraît un tombeau vide d’où se déterre le corps de celui qui a écrit, non sans nous assouvir dans l’imaginaire théologique de Christian Ganachaud, sa source, sa faconde, son histoire personnelle. Il fait dire cela à ses personnages des Clowns de feu (op. cit., p. 154) :
«  - Nous sommes des personnages de papier ! », hurle Marc.
«  - Nous sommes des personnages du Livre », rappelle un peu plus loin Jean. Marc conclut la tournure fondamentale examinée par l’auteur :
«  - On n’existe que parce que nous sommes possédés par le Livre qui est plus grand que nous, qui est nous et plus que nous ».


Et toute histoire individuelle est appelée à raffermir une théologie de la fougue créatrice. Ganachaud n’écrit pas ; il est écrit au sens le plus décisif du terme. Sa page est suaire; son être et son histoire personnelle instillent ses écrits. Son écriture verticale alimente un parcours désormais, après que les sillons existentiels et les voyages eussent nourri son écriture. Langue de mort, langue visionnaire, Ganachaud extirpe de ses visions une pensée faite de stigmates, de rougeurs : celles de l’histoire d’un lien ténu entre visions et pensée dans la langue poétique. Ganachaud se convainc du triomphe du néant. Il l’hypostasie, en réalité. A l’instar des affirmations géniales d’Ezra Pound contenues dans un entretien de 1962, il n’attend plus rien, ni de son expérience et celles de ses aînés immédiats. La vérité a déjà eu lieu. Elle a connu toutes les trahisons depuis son commencement. A une nuance près sur Pound, l’expérience de Ganachaud reste nourricière. En démesure esthétique, toujours gagnant son pari du livre publié. Il peut en faire un bilan vital tout autant qu’une compilation de lambeaux d’histoires : « J’étais vivant au fond de moi, je vivais dans la mort : les morts vivaient dans la vie. Au-dedans de moi avait vécu un cadavre (...). J’étais mon écriture. Exposé là en pleine lumière, je veux dire une conscience nue, pure. » (Le Bilan, Ed. du Rocher, Paris, p.30-31). L’acte généreux adoube le faire en l’agir dans le livre tiré de soi comme on troue le malin par la prière renouvelée chaque jour. Tout comme l’auteur des Cantos, le poète est prophète et Ganachaud couronne l’oeuvre en ciselant, travaillant le linceul, inlassable, brodeur de sens et d’une littérature verticale importante, commençant d’ériger une épopée, un cycle cohérent ramenant l’esprit contemporain à celui d’une sorte de Moyen âge bien moderne de l’histoire universelle. Ou plutôt d’un Moyen âge débarrassé des scories d’une lecture classique dont il s’épuisait depuis la Renaissance. Mais point d’appui dans l’espace et le temps. Ganachaud possède l’intuition du temps absolu, l’éternité jaillissante tout en sachant nous raconter une histoire. Signalons-le, la première trace de cette épopée a paru dès septembre 2003 en un premier volet des aventures des Frères Ganache à la recherche de Dieu dans son “journal christologique, fragment 1”, dans les pages du journal littéraire Place aux Sens.


Lisons les deux derniers romans : Les Clowns de feu et Soleils froids, parus tous deux aux éditions du Rocher (Paris, 2001 & 2002). Examinons-en succinctement les personnages brossés et les thématiques abordées.


Dans Les Clowns de feu, le duc Zrkg frappe à la porte de la famille Lézard, trompant leur bonheur d’épaves devant le regard d’autrui. Jusque là, la vie des Lézard s’accomplissait dans les rituels du quotidien. La famille Lézard est constituée d’une mère recluse dans les souvenirs et de quatre frères : Matthieu l’hydrocéphale, Luc l’alcoolique, Marc atteint du cancer du côlon et le narrateur épileptique. Dans le malheur d’une vie austère tout entière repliée dans les tares associées aux tares, un Homme doté du pouvoir de ressusciter les morts vient leur réclamer le sol de leur maison moyennant une somme d’argent élevée, les contraignant à l’exil. Il leur faut rebâtir leur maison plus bas, vers le marais puant, transportant à dos d’homme pierres, tuiles et meubles. Il s’agit d’une fantaisie burlesque. Drôle et macabre. Une fantaisie lardée de beauté dans la nudité des violences de la fratrie : sacrifice d’un des frères, profanation de sépultures secrètes sur ledit sol, perte à midi des ombres des frères Lézard, décapitation des anges visiteurs, destruction de la première reconstruction, édification d’une seconde maison sur le toit :
« - On se perd ici pour mieux exister ailleurs, dit Marc. Après tout, personne ne peut nous emmerder car on est insaisissables. On ne peut vraiment nous voir qu’à l’envers.
 - Comme cette maison, dit Jean en montrant la construction. » (p. 125).


La maison recèle en réalité le vertige d’inverser l’axe central autour duquel se pense le monde dans l’immanence accomplie par la révélation de l’amour. Amour attendu bien avant notre genèse propre, avant même son annonce :
« - Nous ne sommes pas à l’envers, fit Luc qui grattait sa dent unique de devant. C’est la maison qui a ses assises dans le ciel, ses fondations sur les nuages. Nous, on a les pieds sur terre, parmi les morts. On est à l’endroit dans une maison à l’envers. » (p. 151).



Avec Soleils froids, nous assistons aux mésaventures d’une fratrie et leur mère, de cinq fils simples d’esprit, des miséreux du cerveau âpres au gain mais suffisamment ingénieux pour organiser la résurrection de leur père, le patriarche, figure du poète maudit ruiné qui les a laissés avec des tares génétiques et des dettes. Jacques est touché par la branlante du porc, Joset par la bavante du mouton, Jude par la vache folle, Simon victime de l’escargot puant et le narrateur, le puîné, malmené par une attaque de bactéries le vieillissant prématurément. Pour survivre aux créanciers, les cinq frères décident de créer de toute pièce la résurrection de leur père et la montrer à la population, tel le Christ à Pâques. Ils annoncent aux villageois que le père a quitté le sépulcre pour rejoindre le Très-Haut, espérant amadouer le croque-mort, l’épicier, le boucher, etc. Ils organisent ainsi des visites de la tombe, un battage médiatique et vont jusqu’à déguiser le frère cadet en ressuscité. Mais la campagne s’avère un désastre. Un commissaire nommé dans les environs le « Maigret de Jésus » (p. 30), un curé peu sûr du dogme, une journaliste pigiste seront les victimes expiatoires des frasques des frangins remuant les artifices de leur catéchisme pris au strict pied de la lettre. Sales et affreux, les frères pataugent dans la fange de l’alcool et l’exégèse biblique hâtive dans le noyau de la folie : « (...) j’ai pu vivre, comment j’ai pu survivre, sinon par la folie elle-même, la folie non pas de désirer l’amour mort, ce qui est finalement facile, mais la mort vivante, miroir du Fils et du Père, moi, là, en plein milieu du reflet. J’étais de toute façon coincé dans la clé de la ruine de notre monde (...), bref, des restes de notre civilisation » (p. 135), explique le puîné de sa folie accoucheuse de révélations. Ces péripéties permettent à Christian Ganachaud d’enfanter des dialogues percutants, un rythme de la phrase hors du commun le hissant parmi les meilleurs dialoguistes de la littérature française contemporaine. De plus, notre auteur portraitise à charge le procès de l’esprit mercantile, y compris celui de l’institution religieuse, dressant là au travers de la fiction l’un des plus beaux plaidoyers pour une remise à plat du message spirituel. Farce, satire sociale et politique, Soleils froids gagne aussi en visions apocalyptiques sur ce que pourrait bien devenir notre monde confronté aux désastres du laisser-aller idéologique libéral asseyant les fondements des nouvelles guerres de repartage. Ganachaud ressent ici une compassion pour les faibles qui ne lui était pas coutumière dans ses précédents romans. Ailleurs, les réprouvés sont aimés de lui. Mais c’est avant tout parce que Soleils froids préfigure l’assemblage organique du viatique qui se détériore (l’hystérie de la croix, par exemple, « ne vient pas du dieu mais de l’homme », cf. p. 64), le récit de l’Eden perdu d’où la pureté morale se reconquiert chèrement dans le sang du sacrifice de soi. Ainsi, les visions du puîné, jouant le rôle du père « immortel » devenu cénotaphite, ancrent toute la verticalité essentielle de Christian Ganachaud... enfin ! voici l’homme prenant le risque d’un engagement chrétien authentique. Par-delà les revers de la religiosité dépoitraillée... un Christian Ganachaud irrémédiable adversaire de la bigoterie dominante, admirable partisan d’une foi révélant la liberté d’être, fait unique dans le paysage littéraire actuel :
« Que reste-t-il des évangélistes, après deux mille ans, et des frères de Jésus, Jude, Joset, Simon et Jacques, l’aîné ? Et moi, le puîné ? Des êtres rescapés des camps, des génocides, d’Hiroshima, d’Auschwitz, des charniers ? Non pas des êtres en fuite perpétuelle, mais des chercheurs d’un Dieu qui aurait semblé tourner sa nuque à la lumière. La question de Dieu ne m’a jamais effleuré, c’est la question de l’homme qui m’a toujours troublé. Dieu s’est retrouvé dans les camps, avec l’homme. Je ne me suis jamais demandé où était Dieu, même de dos, mais toujours où était l’homme, même et surtout de face. Devenant cénotaphite, j’ai trouvé la face de Dieu et j’ai trouvé la face de l’homme : c’est-à-dire que j’ai pris en moi le risque du miroir ». (p. 154).


Ecrivain en quête des Justes, Ganachaud est à l’affût de la langue de la Passion ultime, à savoir le Golgotha et la Résurrection. Le reste n’est plus rien. Tout n’est qu’amour dans ses livres ; le feu de sa langue devient une percée, un muscle agile cloué où flamboie l’esprit saint incarné en une prose du monde dans les échecs des hommes, dans les oublis d’un Dieu quelques fois assoupi. Dès lors, son étude du nihilisme lui permet de refondre la face métaphysique de sa pensée, renouant avec le désir de bâtir un humanisme crédible, une lumière qui goutte de larmes de sang. Une table des espérances, en somme.


Osons. Nous aimons Christian Ganachaud et son oeuvre en mouvement. Nous le plaçons haut dans notre panthéon littéraire. Il est un phare. Doué et travailleur, il est l’un des écrivains les plus brillants de sa génération, l’un des plus primordiaux à lire pour les années à venir. Dussé-je devoir paraître harangueur ou pythie, je ne crains pas d’inviter sans réserve les lecteurs à goûter sans modération ses livres. C’est qu’il exerce une attraction. Tous ses livres nous sustentent : il nourrira le mécréant et le croyant, l’incroyant et la religieuse, l’adversaire et l’ami du christianisme. Ecrivain singulier, chrétien affirmé, il concilie les contraires, pacifie les murets et bastions. Il rassemble. Il unifie les grandes religions monothéistes et leurs visions respectives.


Diantre !, c’est une évidence nue, dans cent ans, notre descendance mémorisera l’année 1958 pour deux faits majeurs : la Constitution de la Vème République et la naissance de Christian Ganachaud, fils de Guy, poète et écrivain. De là se balayeront d’elles-mêmes les anecdotes, comme l’année de l'aménagement à la Madrague de Brigitte Bardot dont on va nous rabattre les oreilles livresques sous peu. Dérisoires et fugaces seront jugées les rixes germano-pratines ridicules ou les petits écrits de circonstance qui véhiculent la médiocrité d’une égoïté fictionniste seulement fondée sur les prouesses horizontales de ces dames, de ces messieurs, faute de génie pour franchir les brisures de la littérature verticale. De cette littérature qui anoblit tout lecteur, qui l’enrichit, et surtout ne le prend pas pour un acheteur.


Trouvez-vous ces propos démesurément immodestes ? Peu m’importe, Ganachaud m’inspire Pound pour motiver mon parti : « Ce que tu aimes bien demeure, le reste n’est que cendre (...) Ce que tu aimes bien est ton seul héritage », nous enseigne quelques vers des Cantos. Avec un livre de vie de Ganachaud, nul doute, le lecteur nage dans le bonheur et briguera quelques réponses aux difficultés éternelles (que tous nous nous posons tôt ou tard) et qu’il nous communique. Car il se pourrait qu’il soit sans le savoir l’homme creuset de Dean Moriarty (alias Neal Cassidy) et Sal Paradise (alias Jack Kerouac) aux portes de la libération de la parole, de la foule, de lui-même, homme et écrivain céleste répondant à nos interrogations séculaires sur la libération totale : « Les difficultés, tu vois, c’est le terme générique qui désigne ce en quoi Dieu existe. L’essentiel c’est de pas se laisser coincer. Ma tête tinte ! », dévoile Dean / Jack Kerouac (éd. op. cit., p. 171) à l’instar du puîné de Soleils froids qui, lui, relève la clef de voûte des charpentes humaines bien nées : « Ils comprirent qu’on ne vit pas la vie, mais qu’on l’expérimente, et, pour certains, l’expérimentation est fatale » (p. 167). Christian Ganachaud, vous lire devient une expérience fondamentale... poursuivez, triomphez !


Olivier Pascault

[article paru dans le journal Place aux Sens, n°7, 2003]




· Soleils froids, Ed. du Rocher, Paris, 2002, 167 pages (14 euros).

· Les Clowns de feu, Ed. du Rocher, Paris, 2001, 163 pages (14 euros) - Prix Grand Chosier.

· Un Bilan, Ed. du Rocher, Paris, 2000, 59 pages (5,18 euros).

·  La Chambre, Ed. du Rocher, Paris, 1997, 96 pages (9,76 euros).

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