(entretien avec Bernard Werber paru dans Le Nouvel Observateur)
Nouvel Observateur - Dieu ne joue pas aux dés est le titre de votre avant-dernier ouvrage (1987)... Alors à quoi joue-t-il ?
H. Laborit - C'est en fait une phrase d'Einstein que j'ai reprise, mais Dieu, personne ne le connaît. En science, on a des expérimentations. Le premier homme qui a trébuché et s'est ouvert le genou sur un silex en a déduit que le silex était plus dur que la peau et il a fabriqué le marteau. C’est cela la science. Il y a expérimentation, donc on sait. Mais il n'y a pas d'expérimentation sur Dieu. Il n'y en a jamais eu. Il faut rester humble.
NO - Il n'existe pas ?
H. Laborit - Non, attention, toute négation n'est pas scientifique. Dire que Dieu n'existe pas, c'est déjà de la prétention : c'est prétendre connaître son absence.
NO - Et dire qu'il existe ?
H. Laborit - Encore de la prétention !
NO - Alors vous êtes agoniste ?
H. Laborit -Je ne dis pas non, je ne dis pas oui; c'est en effet une manière d'être agoniste. Mais il y a quand même quelqu'un qui me touche c'est le Christ. C'est plus culturel qu'autre chose.
NO - Alors Dieu, c'est quoi ?
H. Laborit - On dit que le mot « chien » ne mord pas. Le mot Dieu non plus. On peut donc mettre derrière ce mot tout ce qu'on veut. En général, les gens mettent tout ce qu'ils ont appris depuis leur enfance : leur notion du bien, de l'univers, etc. Mais ce sont des automatismes. Selon qu'on est bouddhiste, juif, musulman ou catholique, on va ranger dans ce tiroir des choses bien différentes et parfois antinomiques. Dieu est un mot valise.
NO -Et vous, vous y mettez quoi dans cette valise ?
H Laborit -J'y mettrais... une conscience universelle qui ne serait pas dépendante du temps ni de l'espace. Mais cela reste une définition superficielle.
NO -Croyez-vous à une convergence possible entre savants et mystiques.
H. Laborit -Dans Dieu ne joue pas aux dés, j'évoque les travaux des grands physiciens qui ont trouvé un rapprochement entre les lois de la physique quantique et les lois de la mystique indienne. Le problème est que tout cela est le fruit de leur cerveau. Or ils ne savent même pas comment leur instrument de travail - leur cervelle - fonctionne. Les gens affirment des milliers de choses sans même comprendre comment ils ont fait pour les trouver. Cela fait 40 ans que j'étudie le cerveau, alors je reste un peu circonspect devant les personnes qui affirment quoi que ce soit sans même connaître leur outil de base.
NO- C'est votre cerveau qui vous a appris à être sceptique ?
H. Laborit - Tout à fait. Je vais crever sans avoir résolu les problèmes qui me préoccupent vraiment : pourquoi la peur, comment fonctionne notre mémoire. C'est cela qui m'angoisse et non pas Dieu. Lao Tseu a dit « Celui qui sait ne parle pas et celui qui parle ne sait pas ». Donc le seul fait que je vous parle de Dieu sous-entend que je n'y connais rien.
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